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    @patricelg a dit dans [Interview] 20 ans de Fedora-fr : cinquième entretien avec Thomas traducteur de Fedora :

    Je lirai plus tard mais +1 pour la présentation et mise en page

    Merci de l’avoir remarqué @patricelg
    Je mets un point d’honneur à la présentation.
    Si c’est mal présenté ou sans mis en page, aération des paragraphes, Titres, sous titres, etc… je ne lis jamais entièrement.

    Surtout que maintenant, on a des copiés/collés en markdown direct, pas d’excuses 😉

    Sinon toutes ses interviews dans le monde du libre sont très intéressantes, notamment celles sur plasma/KDE

    A savoir que @Raccoon et moi même sommes de tout petits contributeurs dans la traduction française de NodeBB, le CMS du forum à partir de la version 4 ou il y a eu de gros changements 🙂

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    Dans le cadre des 20 ans de Fedora-fr et du Projet Fedora en lui-même, Nicolas Berrehouc alias Nicosss et moi-même (Charles-Antoine Couret alias Renault) avons souhaité poser des questions à des contributeurs francophones du Projet Fedora et de Fedora-fr.

    La diversité des profils permet de voir le fonctionnement du projet Fedora sous différents angles, au-delà de la distribution, mais aussi comment il est organisé et conçu. Certains points s’appliquent d’ailleurs à d’autres distributions.

    N’oublions pas que le Projet Fedora reste un projet mondial et un travail d’équipe, ce que ces entretiens ne permettent pas forcément de refléter. Mais la communauté francophone a la chance d’avoir suffisamment de contributeurs et de contributrices de qualité pour permettre de donner un aperçu de beaucoup de sous-projets de la distribution.

    Chaque semaine un nouvel entretien sera publié sur le forum Fedora-fr.org, LinuxFr.org et le blog de Renault.

    L’entretien du jour concerne Timothée Ravier, contributeur au Projet Fedora en particulier aux systèmes dits immuables et à l’environnement KDE Plasma.

    Entretien

    - Bonjour Timothée, peux-tu présenter brièvement ton parcours ?

    J’ai commencé à m’intéresser aux logiciels open source autour de 2004 lorsque j’ai découvert Firefox (version 1.0 à l’époque) par l’intermédiaire d’un ami qui l’a téléchargé pour moi sur un CD ré-inscriptible, car je n’avais pas encore l’ADSL à l’époque. J’ai ensuite découvert Linux avec Ubuntu 6.06. Après mes études d’ingénieur en sécurité informatique, j’ai travaillé à l’ANSSI pendant cinq ans sur le projet CLIP OS et je travaille désormais pour Red Hat où je co-dirige l’équipe CoreOS, qui est responsable de la maintenance de Fedora CoreOS et de Red Hat Enterprise Linux CoreOS pour OpenShift.

    - Peux-tu présenter brièvement tes contributions au Projet Fedora ?

    Mes contributions à Fedora sont liées à mon intérêt pour les systèmes orientés conteneurs, parfois dénommés immuables (immutable). Je fais ainsi partie de l’équipe qui maintient Fedora CoreOS, je suis un mainteneur des Fedora Atomic Desktops (principalement Silverblue et Kinoite) et je suis membre du KDE Special Interest Group (SIG).

    - Qu’est-ce qui fait que tu es venu sur Fedora et que tu y es resté ?

    Je suis passé par plusieurs distributions Linux (Ubuntu, Gentoo, Arch Linux) mais je suis désormais sur Fedora.

    Je pense que les « Four Foundations » de Fedora représentent bien mon parcours :

    Freedom : Je suis là parce que je suis intéressé par les logiciels libres, car ils permettent un partage, une mise en commun au bénéfice de tous. Features, First : C’est la force de la communauté Fedora d’un point de vue technologique. Je développe ce point dans les questions suivantes. Friends : Je me suis fait des amis dans la communauté Fedora et cela contribue à la bonne ambiance et la motivation pour continuer à contribuer.

    - Pourquoi contribuer à Fedora en particulier ?

    Je préfère être proche des projets upstream et des dernières évolutions. C’est pour cela que j’étais pendant un long moment sous Arch Linux.

    Mais le processus pour pousser des changements dans Arch Linux était plutôt flou. Il est important de noter que cela a peut-être changé désormais. Mon expérience date de plus de 6 ans et je crois qu’ils ont un processus de RFC maintenant. Le fonctionnement d’Arch Linux impose aussi des mises à jour régulières et une certaine discipline lors des mises à jour liée au modèle de développement sans version fixe.

    Je commençais alors à m’intéresser de plus en plus aux systèmes à base d’images (CoreOS Container Linux et Fedora Atomic Host à l’époque) et je suis donc allé voir Fedora Atomic Workstation (ancien nom de Silverblue) pour créer une version à base de l’environnement KDE Plasma, qui est devenue Fedora Kinoite.

    Le processus pour pousser des changements dans Fedora est ce qui fait la force de la distribution. Il permet d’obtenir des discussions et des décisions sur les évolutions à apporter à la distribution pour la prochaine version.

    - Contribues-tu à d’autres Logiciels Libres ? Si oui, lesquels et comment ?

    En dehors de Fedora, je contribue principalement au développement des projets KDE. Je fais partie de l’équipe qui maintient les applications KDE empaquetées avec Flatpak et publiées sur Flathub.

    Je contribue aussi occasionnellement à différents projets open source en fonction des besoins.

    - Utilises-tu Fedora dans un contexte professionnel ? Et pourquoi ?

    Oui, mes ordinateurs professionnels et personnels tournent sous Fedora Kinoite et mes serveurs personnels utilisent Fedora CoreOS. Une partie des serveurs que nous utilisons pour développer et produire les versions de Fedora CoreOS sont aussi sous Fedora CoreOS. D’autres sont sous Red Hat Enterprise Linux CoreOS, car ils font partie d’un cluster OpenShift.

    En gros, nous sommes aussi des utilisateurs directs des logiciels que nous développons.

    - Est-ce que tes contributions dans Fedora se font entièrement dans le cadre de ton travail ? Si non, pourquoi ?

    Une grosse partie de mes contributions se font dans le cadre de mon travail, mais toute la partie liée à KDE et aux Fedora Atomic Desktops est faite sur mon temps personnel.

    - Est-ce que être employé Red Hat te donne d’autres droits ou opportunités au sein du Projet Fedora ?

    Je n’ai pas plus de droits dans Fedora parce que je travaille pour Red Hat. Je dois suivre tous les processus de Fedora comme n’importe quel contributeur. J’ai d’ailleurs commencé à contribuer à Fedora avant d’avoir été employé par Red Hat.

    En revanche, il est indéniable que cela m’aide pour contribuer, car j’ai régulièrement l’occasion de discuter avec d’autres contributeurs Fedora dans le cadre de mon travail.

    - Tu as débuté une carrière dans la sécurité pour finalement travailler pour Red Hat en tant que mainteneur de CoreOS, Silverblue, Kinoite et contributeur à KDE, pourquoi ne pas avoir continué dans la sécurité pour cet écosystème ?

    Quelque part je continue à faire de la sécurité mais sous un autre angle. La sécurité que je faisais avant ne bénéficiait qu’à un petit nombre de personnes qui avait accès aux systèmes que l’on développait. La nouvelle version open source de CLIP OS devait rendre le système plus accessible mais le projet était complexe et je crois qu’il est désormais archivé.

    Je travaille désormais à améliorer la sécurité de Fedora CoreOS et des Fedora Atomic Desktops sans compromettre leur utilisabilité. L’objectif est de fournir une distribution Linux avec des mises à jour robustes qui soit utilisable par des non développeurs.

    - Tu participes à CoreOS pour RHEL, CentOS Stream et Fedora. Peux-tu expliquer le but de CoreOS et ses principales caractéristiques ? Quelles sont les différences entre RHEL, CentOS Stream et Fedora à ce sujet ?

    L’objectif pour les systèmes CoreOS est de faire tourner au mieux des applications dans des conteneurs. Pour Fedora CoreOS, c’est un système minimal, avec des mises à jour automatiques, proposant à la fois podman et moby-engine (Docker) installés par défaut, prêt à faire tourner des conteneurs sur un seul nœud ou dans le cadre d’un cluster Kubernetes.

    Pour Red Hat Enterprise Linux CoreOS (et CentOS Stream CoreOS), ce sont des systèmes qui forment le socle d’OpenShift (et d’OKD), une plateforme qui intègre plein de projets open source dont Kubernetes.

    Bien qu’il n’y ait pas une correspondance exacte un pour un dans la liste des logiciels inclus, Fedora CoreOS est l’upstream de CentOS Stream CoreOS et Red Hat Enterprise Linux CoreOS, de la même façon que Fedora est l’upstream de CentOS Stream, qui l’est de Red Hat Enterprise Linux.

    - L’architecture atomic a gagné du terrain sur les systèmes pour le bureau avec Silverblue et Kinoite et devient relativement populaire, peux-tu expliquer quel en est l’intérêt d’une telle conception pour ce genre de systèmes ?

    Le principal intérêt pour un utilisateur est la robustesse et rapidité des mises à jour. Celles-ci sont préparées en arrière plan alors que le système fonctionne normalement. Il suffit alors de redémarrer pour mettre à jour son système. Il n’y a pas d’attente supplémentaire ni à l’extinction ni au démarrage.

    Si une mise à jour échoue, le système reste dans l’état actuel, et il est possible de réessayer plus tard.
    Si une mise à jour introduit un problème important empêchant le démarrage du système par exemple, il est possible de redémarrer et de choisir la version précédente dans le menu de démarrage de GRUB.

    Les utilisateurs sont aussi poussés à utiliser Flatpak pour installer leurs applications graphiques et toolbox (ou distrobox) pour utiliser les applications en ligne de commandes dans des conteneurs.

    - Quels sont les défis techniques de proposer cette conception dans ces systèmes par rapport à CoreOS par exemple ?

    La principale différence est la présence d’une interface graphique. Les applications graphiques doivent être parfois adaptées pour fonctionner avec Flatpak. C’est désormais le cas de la plupart d’entre elles.

    - Tu y contribues en tant que membre de Fedora Atomic Desktops SIG, peux-tu expliquer son rôle dans Fedora et ton activité dedans ?

    Le rôle du Fedora Atomic Desktops SIG est de regrouper l’ensemble des contributeurs Fedora des différentes variantes Atomic : Silverblue, Kinoite, Sway Atomic et Budgie Atomic. Bien que chacun de ces systèmes propose un environnement de bureau distinct, ils partagent énormément d’éléments, tant au niveau des composants de base du système que de l’infrastructure Fedora. Le SIG permet donc de regrouper les contributeurs pour pouvoir les inclure dans les prises de décisions qui impactent ces systèmes.

    Je participe à la maintenance des Fedora Atomic Desktops et plus principalement de Silverblue et Kinoite. Cela peut impliquer des mises à jour de paquets, des corrections de bugs dans des projets upstream ou des rajouts de fonctionnalités pour améliorer l’expérience sur ces systèmes. Je surveille aussi que tous les Atomic Desktops continuent de recevoir des mises à jour régulièrement.

    - Penses-tu qu’un jour ces systèmes atomic deviendront la référence par défaut ? Si oui à quelle échéance ? Quelles sont les difficultés actuelles à résoudre ?

    Je l’espère ! Il est impossible de donner une échéance et cela ne dépend pas vraiment de moi. La difficulté la plus importante est la prise en charge du matériel et les pilotes qui ne sont pas intégrés dans Fedora. C’est un problème que l’on ne peut pas résoudre dans Fedora à cause des contraintes légales et qui sont traitées par le projet Universal Blue, dont la variante Bazzite (https://bazzite.gg/), est très populaire.

    - Pour la problématique des pilotes, est-ce que l’initiative du noyau unifié (d’avoir une image universelle et signée comprenant le noyau, initrd, la ligne de commande) te semble être une solution à cette problématique ?

    Ces deux sujets ne sont pas liés.

    Le problème des pilotes externes au noyau Linux upstream est divisé en deux cas principaux :

    Les pilotes propriétaires : Ils ne seront jamais ajoutés directement à Fedora pour des raisons légales et de licence. Les pilotes open source mais non inclus dans le noyau Linux upstream : Fedora met à jour le noyau Linux très régulièrement et suit les nouvelles versions stables peu de temps après leur sortie officielle. Il faut donc que ces pilotes soient mis à jour pour suivre les nouvelles versions du noyau et cela demande toujours du temps lorsque ceux-ci ne font pas partie du noyau upstream.

    Les images noyau unifiées (Unified Kernel Images ou UKI) incluent le noyau, l’initrd et la ligne de commande du noyau dans un seul fichier. Cela présente des avantages pour mettre en place une chaîne de boot mesurée, notamment à l’aide du TPM, et donc pour offrir de meilleures garanties de sécurité. Leur intégration est encore en cours dans les variantes CoreOS et Atomic Desktops.

    - Les développeurs et administrateurs systèmes ont souvent besoin d’outils qui à ce jour nécessitent souvent de recourir à rpm-ostree plutôt que Flatpak ou Fedora toolbox dans le cadre d’un système immuable. Penses-tu que ces verrous sont un réel problème et qu’ils seront éventuellement résolus dans le temps ?

    L’un des objectifs de la nouvelle initiative conteneurs bootables (« Bootable Containers ») est justement de rendre plus ergonomique la modification du système de base. Le système est distribué sous forme d’une image de conteneur standard (image OCI) et il est possible de la modifier à l’aide d’un Containerfile / Dockerfile et d’outils natifs aux conteneurs. Cela permet aux utilisateurs de ré-utiliser leurs habitudes et outils pour modifier aussi leur système de façon sûre et de partager le résultat à l’aide d’un registre d’image de conteneurs.

    Nous allons aussi ajouter à nouveau dnf (version 5) dans ces images de conteneurs pour mettre à disposition des utilisateurs une interface familière et toutes les options de dnf lors de la construction de ces images.

    Une autre piste est d’utiliser le concept des extensions systèmes de systemd (systemd system extensions ou sysexts), qui permettent d’ajouter du contenu dynamiquement à un système sans perdre les avantages de la gestion à base d’images. Les sysexts utilisent la même technologie que pour les conteneurs (overlayfs) pour ajouter des éléments (merge) au contenu des dossiers /usr et /opt de l’image de base. Je suis en train d’investiguer cette option pour rendre son usage ergonomique pour ces systèmes :

    https://github.com/travier/fedora-sysexts

    Il est aussi possible de modifier temporairement le système en utilisant un système de fichier temporaire monté au-dessus des emplacements en lecture seule (overlayfs). Les fichiers de /usr peuvent alors être modifiés et de nouveaux paquets RPM installés à la demande. Les modifications disparaîtront au redémarrage.

    - Tu participes aussi à l’équipe de KDE SIG, peux-tu expliquer son rôle dans Fedora et ton activité dedans ?

    L’objectif du KDE SIG est de proposer la meilleure expérience possible de KDE sur Fedora. Nous suivons et contribuons aussi au développement de KDE upstream.

    Je participe au KDE SIG en tant que mainteneur de Kinoite et développeur KDE.

    - GNOME reste le bureau principal de Fedora à ce jour, cependant la qualité de l’intégration de KDE progresse depuis de nombreuses années maintenant, penses-tu que la qualité entre les deux est aujourd’hui équivalente ? Est-ce que les contributions pour KDE sont freinées de par le statut de GNOME au sein du projet ?

    C’est une question très difficile, car elle est très subjective. J’utilise principalement KDE sur mes systèmes, mais j’apprécie énormément le travail de design fait sur GNOME. Pour moi c’est un choix personnel.

    D’un point de vue technologique, il est possible de trouver des éléments “meilleurs” dans GNOME que dans KDE et l’inverse.

    Il n’y a pas de bénéfice à opposer ces deux projets. C’est au contraire la collaboration qui améliore l’expérience utilisateur.

    Je ne pense pas que les contributions à KDE soient freinées par le status de GNOME dans Fedora.

    - L’équipe KDE SIG a récemment proposé d’améliorer le statut de KDE au sein du projet, quitte à même remplacer GNOME pour Fedora Workstation, peux-tu expliquer cette demande ? Penses-tu qu’un jour KDE remplacera GNOME au sein de Fedora ou de RHEL par exemple ?

    L’idée des membres soutenant cette proposition (qui ne vient pas uniquement de personnes faisant partie du KDE SIG) est de remettre en question la place de GNOME « par défaut » dans le projet Fedora (notamment Fedora Workstation). Poser cette question force le projet à clarifier les critères qui font qu’un environnement de bureau est considéré comme majeur et donc autorisé à être représenté par une “édition” comme Fedora Workstation. Tous les environnements de bureau non-GNOME ne sont actuellement pas bien présentés sur le site de Fedora notamment.

    Il est important pour un projet communautaire de pouvoir justifier ses choix, que l’on soit d’accord ou non avec les arguments présentés. Si ces choix sont perçus comme arbitraires (« c’est comme ça que cela a toujours été », « c’est un employé de Red Hat qui l’a décidé »), alors le projet Fedora perd en crédibilité. Il faut, par exemple, pouvoir justifier que GNOME est un bon choix à présenter aux utilisateurs découvrant Fedora.

    Je ne pense pas que KDE va “remplacer” GNOME dans Fedora et ce n’est pas vraiment l’idée derrière cette proposition qui a été formulée explicitement de la sorte pour forcer la discussion. L’objectif est de rendre KDE plus visible dans Fedora.

    Pour ce qui est de remplacer GNOME dans RHEL, c’est peu probable et cela serait une décision de Red Hat.

    - Penses-tu que Fedora est une distribution de référence pour utiliser KDE aujourd’hui ? Par le passé OpenSUSE, Kubuntu ou Mageia étaient souvent recommandées pour utiliser cet environnement.

    Oui ! 🙂

    Fedora propose depuis plusieurs années les dernières versions de KDE à des fréquences très proches des sorties upstream. Nous sommes actuellement l’une des premières distributions à proposer le bureau KDE Plasma dans sa version 6. Le KDE SIG suit et participe activement au développement de KDE upstream et certains développeurs KDE recommandent désormais Fedora.

    Je travaille avec Fedora Kinoite à rendre le développement de KDE plus abordable, notamment pour le test des versions en cours de développement.

    - Si tu avais la possibilité de changer quelque chose dans la distribution Fedora ou dans sa manière de fonctionner, qu’est-ce que ce serait ?

    Je regrouperai l’intégralité des dépôts Git, codes sources, projets, suivi des bugs, etc. sur une (ou plusieurs) instance GitLab hébergée par le projet Fedora. C’est un projet qui est désormais en cours pour migrer vers Forgejo. Finies les instances Pagure (forge de développement Git), plus de Bugzilla (suivi des bugs). Il faudrait aussi abandonner les listes de diffusion pour utiliser Discourse à la place (transition aussi en cours).

    D’un point de vue personnel, la migration du projet KDE vers GitLab fut un facteur déterminant dans ma capacité à contribuer au projet KDE. Le mode de contributions à l’aide de Pull Requests / Merge Requests à travers une interface web est devenu un standard qui réduit significativement la difficulté pour un premier contributeur à participer à un projet.

    Je pense que c’est la prochaine étape importante pour rendre le développement de Fedora plus accessible et donc pour attirer plus de contributeurs.

    - À l’inverse, est-ce qu’il y a quelque chose que tu souhaiterais conserver à tout prix dans la distribution ou le projet en lui-même ?

    Le processus pour proposer un changement (Change Process). C’est la clé de ce qui fait de Fedora une distribution à la pointe, qui évolue à chaque nouvelle version et qui pousse l’écosystème en avant.

    - Que penses-tu de la communauté Fedora-fr que ce soit son évolution et sa situation actuelle ? Qu’est-ce que tu améliorerais si tu en avais la possibilité ?

    Malheureusement, je n’ai pas eu beaucoup d’interactions avec la communauté Fedora-fr, donc je n’ai pas grand-chose à dire.

    - Quelque chose à ajouter ?

    Merci pour l’entretien !

    Si vous souhaitez en apprendre plus sur ces systèmes, je vous recommande les documentations officielles des projets ou les présentations que j’ai réalisées (une ou deux en français).

    - Merci Timothée pour ta contribution !

    Conclusion

    Nous espérons que cet entretien vous a permis d’en découvrir un peu plus sur les systèmes immuables de Fedora et l’environnement KDE Plasma.

    Si vous avez des questions ou que vous souhaitez participer au Projet Fedora ou Fedora-fr, ou simplement l’utiliser et l’installer sur votre machine, n’hésitez pas à en discuter avec nous en commentaire ou sur le forum Fedora-fr.

    Prochain entretien avec Thomas Canniot, ancien traducteur de Fedora en français et fondateur de l’association Fedora-fr.

    – Source : https://linuxfr.org/news/20-ans-de-fedora-fr-quatrieme-entretien-avec-timothee-contributeur-des-systemes-immuables-et-kde

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    Dans le cadre des 20 ans de Fedora-fr (et du Projet Fedora en lui-même), Charles-Antoine Couret (Renault) et Nicolas Berrehouc (Nicosss) avons souhaité poser des questions à des contributeurs francophones du Projet Fedora et de Fedora-fr.

    Grâce à la diversité des profils, cela permet de voir le fonctionnement du Projet Fedora sous différents angles pour voir le projet au-delà de la distribution mais aussi comment il est organisé et conçu. Notons que sur certains points, certaines remarques restent d’application pour d’autres distributions.

    N’oublions pas que le Projet Fedora reste un projet mondial et un travail d’équipe ce que ces entretiens ne permettent pas forcément de refléter. Mais la communauté francophone a de la chance d’avoir suffisamment de contributeurs et des contributrices de qualité pour permettre d’avoir un aperçu de beaucoup de sous projets de la distribution.

    Chaque semaine un nouvel entretien sera publié sur le forum Fedora-fr.org, LinuxFr.org et le blog de Renault.

    L’entretien du jour concerne Emmanuel Seyman (pseudo eseyman), ancien président de Borsalinux-fr et actuel empaqueteur dans l’écosystème du langage Perl.

    Entretien

    -Bonjour Emmanuel, peux-tu présenter brièvement ton parcours ?

    J’ai découvert Linux pendant mes études à l’EFREI, l’École Française d’Électronique et d’Informatique. Ma première distribution était une Red Hat Linux 4.2 que j’ai installé sur mon PC en 1997.

    En finissant mes études, je savais que je voulais travailler avec du Logiciel Libre et j’ai commencé un travail d’administrateur système et réseaux chez un hébergeur web dont les serveurs étaient sous Red Hat Linux.

    Quand Red Hat a annoncé la fin de Red Hat Linux et le lancement de Fedora, je suis passé d’une distribution à l’autre. Quelques années plus tard, j’ai eu l’occasion de devenir packager (on devait en être à la Fedora 😎 et, encore aujourd’hui, je continue à maintenir des paquets.

    Ces jours-ci, je fais partie d’une équipe de gestion d’identité dans une entreprise qui fait de l’assurance-crédit. Je gère la partie Unix (essentiellement des serveurs OpenLDAP sous Linux) alors que mes collègues gèrent la partie Active Directory.

    -Peux-tu présenter brièvement tes contributions au Projet Fedora ?

    Maintenir mes paquets reste l’essentiel de mes contributions. Je gère plusieurs centaines de paquets, quasiment tous des modules Perl ou des applications écrites en Perl.

    Depuis, je fais partie du SIG Server ou j’essaie de contribuer en y apportant mon expérience dans ce domaine.

    -Qu’est-ce qui fait que tu es venu sur Fedora et que tu y es resté ?

    J’utilisais déjà Red Hat Linux à la fois au boulot et chez moi donc ça a été un enchainement logique de passer sur Fedora Core 1. Je voyais d’un très bon œil de passer sur un système plus communautaire.

    -Pourquoi contribuer à Fedora en particulier ?

    En prenant exemple sur FreshRPMS, un dépôt logiciel pour Red Hat Linux géré par Matthias Saou, j’avais commencé à faire des paquets des logiciels que j’utilisais qui ne se trouvaient pas dans Fedora, des modules Perl pour la plupart. L’étape suivante la plus logique était de maintenir ces paquets au sein du projet Fedora et je suis donc devenu contributeur Fedora.

    -Contribues-tu à d’autres Logiciels Libres ? Si oui, lesquels et comment ?

    À un moment donné, je me suis retrouvé à maintenir une instance de Bugzilla et j’ai commencé à remonter des bogues puis soumettre des correctifs. Au bout d’un moment, les développeurs ont jugé mes contributions suffisamment importantes pour me nommer contributeur.

    De temps en temps, je reviens sur le gestionnaire de bogues du projet pour voir.

    -Utilises-tu Fedora dans un contexte professionnel ? Et pourquoi ?

    Au niveau professionnel, j’utilise Red Hat Entreprise Linux et il m’arrive régulièrement d’ajouter certains de mes paquets à Fedora EPEL pour pouvoir les utiliser au boulot.

    -Est-ce que tes contributions à Fedora sont un atout direct ou indirect dans ta vie professionnelle ? Si oui, de quelle façon ?

    Professionnellement, j’utilise Red Hat Entreprise Linux et mon utilisation de Fedora me permet de mieux comprendre le fonctionnement de RHEL. Il m’est déjà arrivé de mettre des paquets que je maintiens dans mon temps libre dans EPEL pour que je puisse m’en servir au boulot.

    -Tu es actif au sein du SIG Perl, peux-tu expliquer le rôle de ce SIG et de ton activité dans ce groupe de travail ?

    Il y a pas mal d’interdépendances entre modules Perl et c’est utile d’avoir un canal Matrix dans lequel il y a tous les packageurs concernés pour qu’on discute ensemble lorsque quelqu’un tombe sur un problème.

    Ceci dit, le SIG Perl est relativement informel et c’est compliqué de parler d’une activité de groupe avec des rôles bien définis.

    -Qu’est-ce qui t’a poussé à travailler sur les paquets de Perl ?

    Je connais relativement bien le langage, ce qui facilite le débogage et la création de correctifs.

    -Tu es par ailleurs membre de l’association les Mongueurs de Perl, quel est ton rôle dans cette association ? Y a-t-il un lien ou une synergie entre le SIG Perl et cette association d’une quelconque façon ?

    Je suis le président de l’association depuis plusieurs années.

    Il m’arrive de parler de Fedora au sein des Mongueurs. En particulier, je vante le fait que Fedora contient toujours une version de Perl qui est très à jour et qu’on peut donc utiliser toutes les nouveautés du langage.

    Quand je vois que l’une des associations fait quelque chose de bien, j’incite l’autre à en faire autant. C’est pour cette raison que les Mongueurs de Perl publient maintenant un article sur chaque nouvelle version de Perl sur LinuxFR.

    -Tu as été aussi président de Borsalinux-fr pendant quelques années, de 2011 à 2015, peux-tu expliquer en quoi consiste ce rôle ?

    J’étais déjà en relation avec les gens de Fedora-fr parce que j’étais président de Parinux, le LUG de Paris, et qu’il nous était arrivés de planifier des évènements ensemble. Après avoir passé la main, j’ai pu trouver le temps pour participer aux activités de Borsalinux-fr et j’ai adhéré à l’association.

    Je suis arrivé dans l’association à un moment ou les relations avec Red Hat n’étaient pas au beau fixe. Red Hat ne souhaitait pas que l’association utilise “Fedora” dans son nom, car c’est une marque déposée. En plus de ça, les personnes à la tête de l’association étaient là depuis plusieurs années et commençaient à fatiguer.

    À un moment donné, l’association s’est retrouvée sans président et, lors de l’assemblée générale suivante, je me suis proposé pour le poste. Pendant mon premier mandat, j’ai surtout fait de l’administratif (changement de nom de l’association, changement de siège social, partenariat avec Red Hat…). Le suivant m’a permis d’inciter les adhérents à contribuer et d’aller présenter la distribution sur des évènements inédits pour nous.

    -En dehors de cela tu as également participé activement à la vie de l’association, peux-tu revenir sur quelques-unes de tes activités ?

    Après avoir été président de l’association pendant 4 ans, j’ai voulu passer la main (je ne trouve pas sain qu’une même personne reste à la tête d’une organisation). Renault a accepté de prendre le poste, mais on se retrouvait alors sans secrétaire. Pour combler le manque, j’ai pris le poste et je suis resté secrétaire pendant 4 ans.

    À côté de ça, je gère les goodies de l’association. De temps en temps, nous créons des goodies Fedora en plus des goodies que nous donne le Projet Fedora. Je centralise tout ça chez moi et j’envoie des goodies à chaque fois que quelqu’un représente l’association sur un évènement.

    -Tu as également été président de Parinux, quels liens il y avait entre cette activité et tes contributions au sein de Fedora et de Fedora-fr ?

    En tant que président de Parinux, je gérais le village associatif de Solutions Linux. J’ai été contacté par quelqu’un (Thomas Canniot ?) qui voulait un stand pour l’association. De mémoire, les fondateurs de l’association comptaient utiliser le salon pour se rencontrer pour la première fois et signer les statuts de l’association. C’est comme ça que j’ai appris l’existence de l’association et du site web.

    Un peu plus tard, Parinux a décidé de faire des install partys spécifique à une distribution. Pour celle de Fedora, j’ai donc contacté Fedora-Fr et une bonne partie de l’association a débarqué à la Cité des Sciences pour nous aider. De mémoire, nous avons pu faire ce genre d’évènement plusieurs fois.

    -Tu contribues également au dépôt externe RPMFusion, peux-tu expliquer la nature de tes contributions et ce qui t’intéresse dans ce projet ?

    Contribuer à RPMFusion, c’est beaucoup dire… J’ai pu apporter mon aide de deux manières différentes. Je n’ai plus les dates en tête, donc je vais donner ça dans le désordre.

    RPMFusion avait besoin d’un paquet de Bugzilla pour CentOS. J’ai donc mis Bugzilla dans EPEL et RPMFusion a pu mettre à jour sa version pour ne plus avoir a mettre à jour Bugzilla à la main.

    À un autre moment (je me souviens que c’était lors d’un FOSDEM), les admins de RPMFusion cherchaient un bugmaster, quelqu’un pour gérer leur instance de Bugzilla. Étant donné que j’avais une certaine expérience, ils m’ont proposé le poste et j’ai accepté.

    -Qu’est-ce qui te motive à participer aux activités locales ?
    Tu nous as représenté sur de nombreux salons en France, qu’est-ce qui te plaît ou qui ne te plaît pas dans ces événements ? Lesquels apprécies-tu le plus et pourquoi ? Quels intérêts trouves-tu à y aller ?

    Ça permet de rencontrer des gens et de discuter avec eux, ce qui me fait toujours plaisir. Comme on retrouve toujours un peu les mêmes gens sur les villages associatifs, ça permet aussi de passer plusieurs jours en compagnie de gens qui me sont chers. Et, honnêtement, je ne sais pas ce que je ferais de mes jours de RTT si je ne les utilisais pas pour mes activités associatives.

    Pour ce qui est du choix des salons, j’ai un faible pour Capitole du Libre, le salon toulousain, qui a un côté communautaire qui me plaît beaucoup.

    -Si tu avais la possibilité de changer quelque chose dans la distribution Fedora ou dans sa manière de fonctionner, qu’est-ce que ce serait ?

    J’aimerais beaucoup qu’on soit plus nombreux à faire la distribution, que ça soit au niveau des SIG, des tests… J’aimerais beaucoup qu’on facilite le fait de passer d’utilisateur de la distribution à contributeur.

    -À l’inverse, est-ce qu’il y a quelque chose que tu souhaiterais conserver à tout prix dans la distribution ou le projet en lui-même ?

    Je suis très attaché à la nature libre de la distribution.

    -Que penses-tu de la communauté Fedora-fr que ce soit son évolution et sa situation actuelle ? Qu’est-ce que tu améliorerais si tu en avais la possibilité ?

    Je participe assez peu à la communauté francophone. Je dois avouer que j’aimerais un moyen de lire le forum qui puisse se faire depuis un terminal, mais je doute que les efforts qu’il faudrait faire puissent se justifier.

    -Tu participes peu à la communauté francophone, mais tu as conservé une certaine présence au sein de l’Association Borsalinux-fr comme les relations pour les goodies avec le Projet Fedora ainsi qu’avec EVL et bien sûr ta présence sur certains évènements francophones pour nous représenter. Considères-tu tout ceci comme une symbiose entre le travail du Projet Fedora et l’Association Borsalinux-fr ?

    C’est surtout du Borsalinux-fr. En vérité, je gère les goodies essentiellement parce que je vais sur les salons (j’en ai donc besoin) et que les gens qui gèrent EVL sont des amis qui habitent eux aussi dans la région parisienne. Et soyons honnêtes, c’est loin d’être chronophage.

    -Arrives-tu à détecter ou motiver des personnes à devenir des contributeurs lors de ces évènements ?

    J’essaie surtout de convaincre les gens de faire des petits pas et passer au niveau suivant. Si quelqu’un est utilisateur, je vais l’encourager à rapporter des bogues au projet. S’il le fait déjà, je vais lui proposer de tester les versions béta de la distribution… S’il participe à l’animation du stand Borsalinux-fr sur un salon, je vais lui demander s’il ne veut pas, en plus, animer un stand sur un autre salon.

    -Quelque chose à ajouter ?

    Je trouve que ça fait déjà beaucoup… 🙂

    -Merci pour ta contribution !

    Conclusion

    Nous espérons que cet entretien vous a permis d’en découvrir un peu plus sur le Projet Fedora et l’association Borsalinux-fr.

    Si vous avez des questions ou que vous souhaitez participer au Projet Fedora ou Fedora-fr, ou simplement l’utiliser et l’installer sur votre machine, n’hésitez pas à en discuter avec nous en commentaire ou sur le forum Fedora-fr.

    Prochain entretien avec Timothée Ravier, contributeur au Projet Fedora en particulier concernant les systèmes dits immuables et l’environnement KDE Plasma.

    – Source : https://linuxfr.org/news/20-ans-de-fedora-fr-troisieme-entretien-avec-emmanuel-ancien-president-de-borsalinux-fr

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    Dans le cadre des 20 ans de Fedora-fr (et du Projet Fedora en lui-même), nous – Charles-Antoine Couret (Renault) et Nicolas Berrehouc (Nicosss) – avons souhaité poser des questions à des contributeurs francophones du Projet Fedora et de Fedora-fr.

    Grâce à la diversité des profils, cela permet de voir le fonctionnement du Projet Fedora sous différents angles pour voir le projet au-delà de la distribution mais aussi comment il est organisé et conçu. Notons que sur certains points, certaines remarques restent d’application pour d’autres distributions.

    N’oublions pas que le Projet Fedora reste un projet mondial et un travail d’équipe ce que ces entretiens ne permettent pas forcément de refléter. Mais la communauté francophone a la chance d’avoir suffisamment de contributeurs de qualité pour permettre d’avoir un aperçu de beaucoup de sous projets de la distribution.

    Chaque semaine un nouvel entretien sera publié sur le forum Fedora-fr.org, LinuxFr.org et le blog de Renault.

    L’entretien du jour concerne Remi Collet (pseudo remi), empaqueteur du Projet Fedora en particulier concernant l’écosystème PHP.

    Entretien

    - Peux-tu présenter brièvement ton parcours ?

    40 ans, c’est long !

    J’ai découvert l’informatique à une époque préhistorique où l’on travaillait sur des terminaux (texte) connectés à de gros systèmes avec des langages oubliés (Cobol…). Ensuite j’ai eu la chance de voir les choses changer.

    Travaillant pendant 20 ans dans une grande administration française, et parallèlement dans une université à la gestion du matériel pédagogique. J’ai vu arriver les ordinateurs personnels, les premiers réseaux locaux, GNU, Linux, Windows, Internet… Rapidement à l’université (veille technologique) et progressivement dans le monde professionnel. Les solutions OpenSource ont toujours été au cœur de mon activité, et la contribution un but personnel.

    Au départ développeur, je suis aussi devenu administrateur système et réseau.

    Je travaille désormais chez Red Hat comme développeur, principalement chargé de PHP.

    - Peux-tu présenter brièvement tes contributions au Projet Fedora ?

    Lorsque j’ai migré mon ordinateur personnel sous Linux il y a plus de 20 ans, j’ai passé beaucoup de temps sur les forums, pour apprendre des autres et aider les nouveaux.
    Cela a été très formateur.

    Ensuite je me suis investi dans la maintenance de paquets RPM pour mes besoins et pour partager. Et je me suis concentré sur le monde PHP.

    - Qu’est-ce qui fait que tu es venu sur Fedora et que tu y es resté ?

    J’ai commencé avec Red Hat Linux 5 (1997), qui est devenu Fedora Core, puis Fedora. Au départ c’est le hasard d’un serveur livré avec un CD. Et depuis j’ai toujours été fidèle à l’une des premières distributions majeures.

    - Pourquoi contribuer à Fedora en particulier ?

    Parce que c’est “la” distribution où les choses changent.

    - Peux-tu préciser les éléments qui confirment cela de ton point de vue ?

    L’exemple le plus marquant est sans doute “systemd” qui a provoqué lors de sa sortie un débat technique très vif, mais qui est désormais sur toutes les distributions (ou presque).

    - Contribues-tu à d’autres Logiciels Libres ? Si oui, lesquels et comment ?

    Principalement PHP et de nombreux projets autour (extensions, bibliothèques, applications…).

    - Utilises-tu Fedora dans un contexte professionnel ? Et pourquoi ?

    Oui, depuis 1997 avec l’installation d’un serveur d’accès à Internet. Et aujourd’hui sur tous mes serveurs et postes de travail.

    - Tu as été recruté par Red Hat alors que tu étais déjà dans la communauté de Fedora, comment cela s’est passé ?

    Depuis la fusion de Fedora Core + extras (2007), j’étais devenu le mainteneur du paquet PHP. Donc quand Red Hat a cherché à recruter un mainteneur spécifique pour PHP (2012), j’étais le mieux placé.

    - Ils t’ont contacté ou tu as postulé ?

    Ils m’ont contacté (cooptation), ce qui tombait bien puisque je cherchais un nouvel emploi.

    - Est-ce que la contribution à Fedora a été un élément déterminant dans le processus ?

    Clairement oui, ainsi que mon implication dans PHP, en amont.

    - Est-ce que tes contributions dans Fedora se font entièrement dans le cadre de ton travail ? Si non, pourquoi ?

    Non.

    Je contribuais au Projet Fedora avant de rejoindre Red Hat, et si j’ai la chance de pratiquer ma passion (l’OpenSource) dans mon travail, je continue aussi en dehors. Ma position m’a aussi permis d’augmenter mes contributions sur les autres projets.

    Par contre, aujourd’hui je cherche à maintenir un équilibre afin de garder une vie privée et sociale saine.

    - Est-ce que être employé Red Hat te donne d’autres droits ou opportunités au sein du Projet Fedora ?

    Non (en dehors du temps), et heureusement. Fedora est avant tout un projet communautaire.

    - Tu es actif au sein de SIG PHP, quel est le rôle de cette équipe de travail et de ton activité dans cette équipe ?

    Ce groupe n’a jamais été très actif, et je suis désormais pratiquement seul.

    - Tu es également contributeur au sein du projet PHP lui-même, quelle est la nature de ton travail pour ce projet ?

    Je contribue régulièrement au code, surtout sur des corrections de défauts rapportés par les utilisateurs de mon dépôt, de Fedora ou de RHEL. Je maintiens aussi quelques extensions (zip, mailparse, rpminfo…). Je participe aussi activement au processus de publication des nouvelles versions (QA avant annonce).

    - Quels bénéfices retires-tu de travailler sur les deux aspects du projet PHP à savoir upstream mais aussi sur la conception de ces paquets ?

    Il me semble indispensable de communiquer entre l’amont (le projet PHP) et l’aval (le Projet Fedora). Être impliqué dans les 2 projets simplifie énormément les choses. Et évidement, il est plus facile de faire évoluer un projet lorsqu’on y contribue activement.

    - Quelles simplifications cela comporte plus en détail selon toi ?

    Lorsqu’un utilisateur de Fedora (ou de mon dépôt) signale un bug, il est plus simple de le corriger en étant contributeur, soit directement, soit par le dialogue avec les autres développeurs.

    De même pour les évolutions de la distribution qui peuvent avoir un impact sur PHP (exemple: l’intégration à systemd).

    Et la réciproque est vraie pour les évolutions du projet qui peuvent affecter la distribution (exemple: la suppression d’extension ou l’ajout de nouvelles fonctionnalités nécessitant de nouveaux outils).

    Être actif dans une communauté permet d’être connu et reconnu et donc d’être écouté.

    - Tu as aussi l’un des dépôts externes les plus populaires et actifs de Fedora centré sur PHP, pourquoi as-tu créé ce dépôt ? Pourquoi tu continues à l’alimenter alors que le projet Fedora fourni déjà PHP ?

    Ce dépôt existe depuis 2005 et me permettait de partager mon travail avant de contribuer à Fedora.

    Aujourd’hui c’est là que je prépare les évolutions avant qu’elles soient intégrées dans Fedora (puis dans CentOS Stream, puis dans RHEL). Par exemple PHP 8.3 présent dans Fedora 40 était dans mon dépôt depuis presque 1 an (Juin 2023, version 8.3.0alpha1)

    Alors que Fedora fournit une seule version de PHP et une cinquantaine d’extensions, mon dépôt propose 5 versions (même 10 pour EL), ~150 extensions et 2 modes d’installation.

    - Pourquoi ne pas utiliser le système de COPR pour ce travail ?

    Copr est très intéressant pour les petits projets. Dans mon cas, ce sont des milliers de paquets. Et Copr n’est pas adapté pour les modules, ni pour les quelques paquets non libres que je maintiens (ex: Oracle).

    - Peux-tu expliquer l’importance du mainteneur de paquet dans la distribution ? Quels choix il faut effectuer, les difficultés techniques rencontrées, etc.

    C’est celui qui essai de coordonner les projets amont / aval et les utilisateurs en essayant de satisfaire des besoins parfois incompatibles de stabilité, de compatibilité, d’innovation.

    - Les “Modules” de Fedora étaient censés être un pilier de Fedora.next pour fournir différentes versions des piles technologiques, comme PHP, pour une version donnée de Fedora. Maintenant que c’est abandonné, peux-tu expliquer les raisons derrière cet échec ? Pour un empaqueteur, quelles ont été les difficultés derrière ?

    J’ai longuement écrit sur le sujet. Je retiendrais que ce projet répondait avant tout à un besoin de distribution entreprise qui n’est pas vraiment utile à Fedora avec un cycle de version très rapide (6 mois).

    La complexité du système de construction a peut-être été une raison de son échec.

    - Tu as aussi écrit la documentation française pour faire ses propres paquets RPM et tu as aidé de nombreux francophones à réaliser leurs premiers paquets, qu’est-ce qui t’intéresse à guider les débutants dans cette activité ?

    Le partage.

    Accompagner un débutant est toujours passionnant, humainement et techniquement. Cela permet aussi de répondre à des questions qu’on ne se pose pas forcément, et donc de se remettre en cause.

    - Les paquets traditionnels ne sont plus l’unique voie d’avoir un logiciel qui tourne sous Fedora. Avec Flatpak, Snap ou des solutions tels que Docker / Podman cela devient possible de s’en affranchir. Comment vois-tu l’évolution des paquets au sein d’une distribution dans Fedora ? Que penses-tu de ces évolutions ?

    Avant on cherchait à créer une distribution cohérente ou chaque composant était partagé et utilisé par les autres (une sorte de Lego).

    Aujourd’hui, et je le regrette, beaucoup ont abandonné cet objectif et beaucoup de projets préfèrent embarquer tous les composants qu’ils utilisent.

    C’est le cas de PHP avec “composer”, de langages comme Rust où la notion de bibliothèques partagées n’existe même plus. Flatpack / Snap n’en sont qu’un développement extrême.

    - N’est-ce pas aussi parce que cela résout certaines problématiques liées à la rigidité des paquets qui rendent notamment la cohabitation de versions différentes délicates ou de rendre l’environnement de travail plus modulaire ?

    Je pense que cela ne résout rien. On sait parfaitement installer plusieurs versions d’une bibliothèque simultanément.

    Disons que c’est la solution de facilité, on n’essaie même plus de faire propre. Sans parler des projets qui embarquent des copies modifiées, sans que les modifications soient reversées ou discutées.

    - Si tu avais la possibilité de changer quelque chose dans la distribution Fedora ou dans sa manière de fonctionner, qu’est-ce que ce serait ?

    La communauté Fedora est composée de gens passionnés. La passion entraine parfois des positions excessives et des discussions sans consensus possible.

    La communauté des contributeurs a tué de beaux projets, comme les « Softwares Collections » ou les “modules”. Je trouve cela dommage.

    - Peux-tu expliquer ce que sont les Software Collections et pourquoi cela n’a pas abouti ? Quelles différences avec les modules notamment ?

    Les Software Collections permettent une méthode standard d’installation de plusieurs versions d’une application sans conflit espace de nom différent, installation sous /opt et sans risque d’altération du système de base.

    Le projet ayant été développé par Red Hat pour les besoins de sa distribution Entreprise il a provoqué un vif débat technique (ex: non respect de la FHS, ce qui a été corrigé par la suite) et a même provoqué l’épuisement et le départ de 2 membres du FPC.

    La complexité d’utilisation (activation de la SCL) a aussi été des raisons de leur détestation.

    Ce besoin étant quasi inexistant pour Fedora, personne n’a eu la force d’améliorer la solution qui a été abandonnée.

    Les modules permettent de fournir plusieurs versions alternatives d’une application, mais sans permettre une installation simultanée. Fonctionnellement c’est comme si chaque version est disponible dans un dépôt différent qu’il suffit d’activer.

    - À l’inverse, est-ce qu’il y a quelque chose que tu souhaiterais conserver à tout prix dans la distribution ou le projet en lui-même ?

    La passion justement, qui reste un moteur indispensable. S’il n’y a plus de passion, plus de plaisir, autant arrêter (j’ai abandonné quelques projets pour cela).

    - Que penses-tu de la communauté Fedora-fr que ce soit son évolution et sa situation actuelle ? Qu’est-ce que tu améliorerais si tu en avais la possibilité ?

    La communauté Fedora est surtout composée de contributeurs. D’autres distributions ont une communauté d’utilisateurs et sont excellentes pour leur promotion.

    Je n’ai malheureusement pas d’idée magique pour augmenter la communauté Fedora-Fr.

    Je pense aussi que les contributeurs français sont souvent actifs dans la communauté globale (en anglais) plutôt que dans la communauté française.

    - Trouves-tu que c’est spécifique à la communauté francophone ?

    Je ne sais pas, je ne connais pas trop les autres communautés, mais je rencontre beaucoup de nationalités différentes dans la communauté anglophone.

    - Merci Remi pour ta contribution !

    Conclusion

    Nous espérons que cet entretien vous a permis d’en découvrir un peu plus sur l’empaquetage de Fedora.

    Si vous avez des questions ou que vous souhaitez participer au Projet Fedora ou Fedora-fr, ou simplement l’utiliser et l’installer sur votre machine, n’hésitez pas à en discuter avec nous en commentaire ou sur le forum Fedora-fr.

    Prochain entretien avec Emmanuel Seyman, ancien président de Borsalinux-fr et actuel empaqueteur dans l’écosystème du langage Perl.

    – Source : https://linuxfr.org/news/20-ans-de-fedora-fr-deuxieme-entretien-avec-remi-empaqueteurs-de-paquets-rpm

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    @Popaul un conformiste. :ahah:

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    Disponible 🙂

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    Après un premier long-métrage jamais sorti et un second noyé dans les abîmes de la VOD, Nikhil Nagesh Bhat puise dans SON vécu, prend les codes du cinéma d’action de Bollywood à revers pour finalement remporter la mise, Il revient pour nous sur la création de cette bête de festivals, sur son rapport à la violence, sur la place du train dans tout ça.

    Aussi bien dans les films d’action, les comédies romantiques que le cinéma d’auteur, le train occupe une place fondamentale dans les cinématographies indiennes. Pouvez-vous nous expliquer pourquoi ?

    En Inde, les trains sont quasiment la colonne vertébrale du pays tout entier : c’est le moyen de transport de la plupart de la population depuis plus d’un siècle. Et c’est toujours le cas, bien que les voyages en avion soient devenus plus abordables. À l’époque de l’Inde britannique, une partie non négligeable du combat pour l’indépendance a pu être menée grâce aux trains, le réseau routier n’étant pas aussi développé qu’’aujourd’hui. Beaucoup d’Indiens n’utilisent que ce moyen de transport : Ça fait partie de la culture.

    Lorsque je faisais mes études à 2.000 kilomètres de la ville où j’habitais, je voyageais en train. Au-delà de ça, ça reste le moyen de transport le moins cher. Toutes les castes, toutes les religions, toutes sortes de personnes s’y retrouvent sous le même toit. Elles partagent le même espace, mangent la même nourriture, tout en parlant souvent dans des langues différentes. C’est une mise en abyme de l’Inde, un marqueur culturel fondamental, dont vous pouvez relever une infinité de références dans nos films. Les trains font partie intégrante de nos vies et de notre développement : toutes les villes les plus importantes du pays ont été construites autour des réseaux ferroviaires.

    Quand il s’agit de convoquer des représentations iconiques du train dans le cinéma indien, des films dans lesquels a joué Amitabh Bachchan des années 70 et du début des années 80, de sa période « jeune homme en colère », viennent immédiatement en tête, comme Sholay (Ramesh Sippy, 1975) ou Coolie (Manmohan Desai, 1983). Avez-vous des exemples antérieurs ?

    C’est vrai que dans le domaine du thriller, les films d’Amitabh Bachchan ont réellement eu un impact fort, surtout Sholay, pour sa mise en scène et sa façon d’appréhender le train comme un personnage à part entière. Mais il y a beaucoup d’autres exemples : je pense à des films portés par Raj Kapoor comme Chori Chori (Anant Thakur, 1956 - NDR), Half Ticket (Kalidas, 1962 - NDR), ou encore Pakeezah (Kamal Amrohi, 1972 - NDR), qui en ont offert des représentations pertinentes.

    Le prochain blockbuster de Sunny Deol, Lahore 1947 (réalisé par Rajkumar Santoshi), est déjà vendu sur la foi de son grand final, présenté par ses producteurs comme la plus grande scène d’action jamais filmée à bord d’un train. Au sortir de la projection de Kill, on leur souhaite bon courage.

    (rires) De ce que j’en sais, c’est une h’stoire qui repose avant tout sur l’émotion. Au moment de la Partition, il y a eu un exode important de personnes venant du Pakistan en Inde et vice versa. Des événements horribles se sont déroulés à bord de ces trains, avec parfois des wagons entiers de cadavres qui arrivaient en Inde ou au Pakistan. C’est un sujet très grave, pour n’importe quel Indien, et apparemment, le film avec Sunny Deol entend lui rendre justice.

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    – Nikhil Nagesh Bhat en train de donner des indications de jeu à son acteur principal.

    L’intrigue de Kill vous est venue d’un incident dont vous avez été le témoin. Ressentiez-vous le besoin de raconter cette histoire ?

    Comme je vous le disais, j’ai fait mes études loin de chez moi, dans la ville de Pune. J’habitais à Patna, qui était donc à environ 2.000 kilomètres, et je faisais trois ou quatre allers-retours par an. La répartition par wagon que vous voyez dans le film est un phénomène datant d’une quinzaine d’années ; quand je faisais ces voyages, autour de 1995, beaucoup de personnes se retrouvaient en classe générale, ce qui était mon cas en tant qu’étudiant - si j’avais pris un billet en première, mon père m’aurait foutu dehors ! (sourire) Ce jour-là, j’ai embarqué vers 23h30.

    Le matin, le train était censé s’arrêter à la gare d’Allahabad, où j’avais prévu de prendre mon petit déjeuner. Je me suis réveillé et j’ai constaté qu’on était encore loin d’Allahabad, que le train était arrêté dans une gare abandonnée. Quand je suis sorti, j’ai vu beaucoup de policiers, et j’ai fini par comprendre que le wagon juste à côté du mien, la première classe, avait été la cible d’une trentaine de voleurs. Dans la nuit, le wagon avait été réservé pour les invités d’un mariage, et quelqu’un avait dû faire fuiter l’information. Ils ont été frappés, certains passagers ont reçu des coups de couteau, les voleurs ont pris tous les bijoux, les vêtements, l’argent… Les victimes étaient rassemblées à l’extérieur, elles étaient horrifiées, elles redoutaient de remonter à bord. Pendant ces deux ou trois heures durant lesquelles le train était arrêté dans cette gare de fortune, j’ai pu voir toute la détresse de ces passagers, et ça m’a hanté pendant un long moment. En 2016, lors d’un voyage en train pour aller tourner un film, tout m’est revenu. C’est à ce moment-là que j’ai décidé d’écrire une histoire autour de cet incident.

    Qu’avez-vous retiré du fait de vous inspirer d’une expérience personnelle, d’un point de vue artistique ?

    Ce fut cathartique, mais pas de la façon attendue. J’ai réalisé un film en 2008 (Saluun - NDR), et ce film n’est jamais sorti. Il a tourné dans quelques festivals, mais il n’a jamais vraiment vu la lumière du jour. À la suite de ça, j’ai connu huit années difficiles où personne ne voulait produire mes films. On me reprochait le fait que je n’avais pas réalisé de films, ce que je contestais, en soulignant que celui que j’avais réalisé n’était jamais sorti… C’était sans fin. J’ai fini par tourner un second long-métrage, l’un  des premiers Netflix Originals d’Inde, qui est sorti en 2018 (Brij Mohan Amar Rahe!). Mais ça ne m’a pas vraiment ouvert plus de portes. Toute la frustration accumulée a nourri l’écriture de Kill, et la catharsis s’est opérée à ce niveau-là.

    L’un des partis pris les plus audacieux du script réside dans l’écriture des antagonistes. Qu’est ce qui vous a poussé dans cette direction ?

    Je voulais que les spectateurs ressentent une forme de réalisme, qu’ils vivent le film comme s’ils faisaient partie des passagers, et c’est aussi pour ça que l’action est amenée de cette façon. Il fallait que lorsqu’un personnage meurt, on ressente sa douleur et celle de ses proches, quel que soit ce personnage, même s’il s’agit d’un antagoniste. Voir quelqu’un être blessé où mourir, ce n’est pas réjouissant : c’est l’une des pires choses qui soient, et il fallait que ça soit tangible. L’inspiration vient en outre d’un de mes films préférés, Aliens, le retour. J’ai vu une interview qui évoquait le fait que l’histoire tourne autour de deux mères : ce n’est pas une créature contre une astronaute, mais deux mères qui essaient de protéger leurs progénitures. L’émotion se développe des deux côtés. Cette lecture du film m’a fasciné, et elle m’est restée. C’est une idée à partir de laquelle je voulais expérimenter et Kill m’en a donné l’occasion.

    Et vous avez poussé ce principe encore plus loin dans votre film suivant, Apurva. Diriez-vous que les deux films se répondent ?

    Ils entretiennent des similitudes, mais ils s’opposent tout autant : Apurva est un survival, dans lequel une femme résiste à ses agresseurs sur une durée de 24 heures, alors que rien ne l’avait préparé à une telle éventualité ; Kill est une histoire de revanche, avec un membre de commando entraîné pour ce type de situation. On ressent le même genre d’émotions à la vision des deux films, bien que les personnages les amènent dans des directions différentes. Je dirais aussi que dans Apurva, il n’y a pas vraiment de gore: le film est très violent, mais il n’est pas sanglant.

    Les gerbes de sangetles retouches numériques, les montages et mises en scène d’aujourd’hui tendent beaucoup vers une insensibilisation au gore. Dans Kill et Apurva, toutefois, la violence est franchement ressentie.

    Merci beaucoup. Mon but dans ces deux films était de ne pas rendre la violence sensationnelle, ne pas la glorifier, ni même la dramatiser. Je voulais la montrer comme un renoncement, une perte d’humanité. C’est une tendance du cinéma indien et de beaucoup de films hollywoodiens d’utiliser la violence comme une forme de style, comme une fin en soi. La violence est devenue une déclaration d’intention esthétique. C’est quelque chose qui me rebute, et c’est pour ça que je tiens autant à l’aspect émotionnel du récit.

    Comment gardiez-vous l’équilibre ? N’y a-t-il pas eu des moments où vous vous disiez que vous alliez trop loin ?

    Il n’y avait pas vraiment de méthode. J’avais en réalité tout couché sur le papier en amont, chacune des quarantedeux morts du film, comment elle devait s’exécuter et se chorégraphier. Je fonctionnais à l’instinct pour savoir si c’était trop ou pas. À l’origine, le script comptait dix morts supplémentaires. En discutant avec le chorégraphe des scènes d’action, Oh Se-yeong, j’ai réalisé que c’était trop, que ce serait épuisant à voir. On faisait des previz sur chaque chorégraphie, et je décidais au coup par coup s’il fallait les réduire ou non. C’était un processus instinctif, qui s’est poursuivi au montage, même si en fin de compte, 95 % de ce qui a été filmé se retrouve à l’écran.

    Spoiler

    Je n’ai pas rogné parce que je savais qu’à partit du moment où le personnage principal bascule et devient un monstre, tout pourrait se justifier. Il passe par des états de culpabilité, de deuil pour succomber à la rage. Mais je crois que le film n’est pas encore sorti en France, donc je ne préfère pas m’étendre sur cet aspect. (sourires)

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    – Nikhil Nagesh Bhat apprend à ses comédiens à se mouvoir dans un espace pour le moins exigu.

    Les chorégraphes des scènes d’action ont tous les deux travaillé sur des films du Spy Universe“), des blockbusters hindis avec un sens du spectaculaire plutôt fantasque, presque à l’opposé des partis pris de Kill.

    Oh Se-yeong et Parvez Shaïkh sont des chorégraphes fantastiques. Oh Se-yeong a travaillé sur des productions indiennes mais aussi sur Snowpiercer, le Transperceneige ou Avengers : l’ère d’Ultron ; c’est un chorégraphe sud-coréen de renommée internationale. À la lecture du script, il a tout de suite compris le type d’action que je recherchais. Lui et Parvez Shaïkh ont toujours respecté les intentions de départ, à savoir de l’action viscérale, au rendu très personnel. D’autant que la contrainte du décor ne laissait pas vraiment le choix.

    Comment avez-vous géré cette contrainte, justement ?

    On s’est adaptés de scène en scène, au fil du tournage. Aucun d’entre nous n’avait travaillé sur un film d’action de ce type auparavant. J’avais demandé au production designer, Mayur Sharma, un décor laissant de la place pour les mouvements des comédiens et des caméras. Il fallait que tous les murs puissent bouger, se manipuler. Il avait déjà construit des décors de train, mais jamais avec ce type d’impératifs. Il a fait des recherches, m’a présenté une maquette d’une trentaine de centimètres, en me disant : « Voilà comment les murs vont bouger. »

    Il a ensuite travaillé sur une maquette de trois mètres et demi, sur trois cabines puis deux Wagons, jusqu’à arriver au résultat final. Il en est allé de même pour les maquillages et les prothèses : d’abord, on se disait que la plupart des effets seraient en images de synthèse, avant de prendre conscience du temps et de l’argent que ça représentait. Quasiment tout ce que vous voyez à l’écran est réel : c’est l’œuvre du studio Dirty Hands, un travail de quatre mois d’une grande méticulosité. De notre côté, nous avions un grand tableau récapitulatif de chaque arme utilisée, de chaque blessure. C’est la méthode qu’on a fini par adopter, pour s’y retrouver. Puis il y avait les éclaboussures de sang : là aussi, j’ai préféré me passer des effets numériques.

    Kill semble tellement ancré dans la culture indienne par son décor, la caractérisation de ses personnages et une certaine radicalité que l’annonce d’un projet de remake américain a pu sembler absurde, voire perdue d’avance. Êtes-vous plus optimiste ?

    Pour moi, la singularité du film ne tient pas tant à ses spécificités indiennes qu’à sa charge émotionnelle. Si cet aspect est respecté, peu importe le pays où ça se passe, ça marchera. Un père aimera son enfant n’importe où dans le monde, des amants s’aimeront et se disputeront n’importe où dans le monde. On en revient aux mêmes émotions primaires, qui fonctionnent partout. Parfois, vous regardez un film auquel il peut manquer un ou plusieurs degrés de sophistications techniques, mais ça ne vous empêche pas d’être embarqué par l’émotion.

    Sur quoi travaillez-vous actuellement ?

    J’écris. Pour être honnête, j’ai pris goût au sang (sourire), donc je planche sur un autre film d’action, un autre film basé sur une vengeance.

    C’est un thème qui traverse les cinématographies indiennes de part en part, ces dernières années…

    Je pense que ça vient du fait que la société indienne fait face à une telle densité de population que les chances de réussite sont rares, limitées à peu de personnes. Et le reste de la population se sent laissée de côté. Ce ressentiment, cette impression d’être un outsider, est profondément ancrée dans la psyché du système indien. Il y a toujours cette volonté de s’élever de sa condition, de saisir la moindre occasion. Et quand ça ne se passe pas bien, il y aura toujours ce sentiment d’avoir été floué, et l’envie de prendre sa revanche. C’est du moins comme Ça que je me l’explique.

    – Propos recueillis et traduits par François Cau.
    – Merci à Aude Dobuzinskis, Jean-François Gaye et Amanda Kichler.
    – Mad Movies #385

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    L’auteur de Civil War nous explique ses techniques pour rendre la guerre aussi laide que dans la réalité et le spectateur un peu moins con que quand il est entré dans la salle.

    Tout d’abord, je dois vous dire que j’ai été très impressionné par votre film. En matière d’impact visuel et émotionnel, j’ai beaucoup pensé aux Fils de l’homme.

    Oh, c’est très gentil ! Figurez-vous que pendant le tournage, on se posait la question de savoir quel genre de long-métrage on était en train de faire, à quoi il allait ressembler. Et en fait, l’un des seuls films qui revenaient sur le tapis, c’était Les Fils de l’homme. Je suis donc ravi de cette comparaison.

    Comment avez-vous eu l’idée de réaliser Civil War, qu’est-ce qui vous y a poussé ? Un événement en particulier, la situation politique mondiale en général ?

    J’ai écrit Civil War environ quatre ou cinq mois après l’arrivée de la Covid. L’élection américaine allait alors avoir lieu en novembre de cette année-là. Ce qui m’a poussé à l’écrire n’était pas lié à un événement précis, mais plus à la condition dans laquelle le monde se retrouvait. Et je pense que la Covid a constitué pour moi une chance de me poser un peu et de réfléchir. Je l’ai attrapée dès le mois de mars quand elle a déferlé et je suis tombé très malade, ce qui fait que pendant environ huit semaines, je ne me suis préoccupé que de ma santé et pas du tout de ce qui se passait dehors. Une fois que j’en étais guéri, tout le monde était confiné, plus personne ne sortait ; c’était un peu comme si nous avions tous été mis à la retraite, c’était un environnement très étrange. Un tel cadre était donc propice à la réflexion. Je dirais deux choses. D’abord, je suis persuadé qu’il n’y a rien de prémonitoire dans le film. Toutes les idées qu’il véhicule viennent en fait d’une conversation globale qui se tenait durant cette période et que je voyais se refléter dans les bulletins d’informations ou dans des entretiens que j’ai pu avoir au téléphone avec des amis depuis environ six ans.

    Tout était lié à la polarisation de la politique et à la façon dont laquelle une certaine forme de communication avait été brisée. Qui plus est, bien que le film se passe en Amérique, tout ce qu’il dit est également vrai à propos de mon pays (Alex Garland est britannique - NDR) concernant cette polarisation. On croit toujours que ça ne pourra pas empirer, mais ça empire. Et ça s’applique de différentes manières à d’autres pays d’Europe et à travers le monde. On peut constater cette montée du populisme aussi bien en Amérique du Sud et en Asie qu’en Europe et aux États-Unis. Cela dit, il y a eu débat au moment où j’ai présenté le projet aux producteurs et aux financiers en juillet pour savoir si l’action devait se passer en Amérique ou en Grande-Bretagne. On a fini par le situer aux USA parce que c’est un pays unique dans le sens où le reste du monde ne cesse de l’observer. Quand il y a une élection présidentielle aux États-Unis, si vous arrêtez quelqu’un dans la rue en Europe ou en Asie pour lui demander qui sont les deux candidats, il y a de bonnes chances pour qu’il le sache. En revanche, si vous demandez qui est le Premier ministre britannique, personne ne le sait ! Donc, si vous voulez vraiment évoquer la polarisation et le danger des politiques populistes, les États-Unis sont le pays le plus indiqué car ça parle à tout le monde.


    – Le réalisateur Alex Garland se tient devant une épave d’hélicoptère, élément central d’une leçon donnée par Lee à Jessie.

    Dans le film, le Texas et la Californie sont alliés contre le reste des États-Unis, ce qui est assez surprenant compte tenu de leurs positions politiques très éloignées l’une de l’autre. Par ailleurs, on ne sait pas ce qui a déclenché cette guerre.

    Le film montre un président anticonstitutionnel qui est également quelqu’un de violent. Il attaque ses propres citoyens, ce qui donne une idée assez précise du bonhomme. Quant au Texas et à la Californie, ils pensent que leurs polarisations politiques respectives n’ont guère d’importance comparées aux actes d’un président à la tête d’une constitution fasciste et brutale qui écrase le peuple. Ils mettent leurs opinions de côté pour faire bloc. Mais dire que cette alliance serait impossible reviendrait à dire que les polarisations politiques sont plus puissantes que la corruption, la violence et le fascisme, ce qui serait une position difficilement compréhensible. Vous savez, j’ai tendance à ne pas énoncer de vérités dans mes films, à ne pas épeler les choses. Je veux établir une communication avec les spectateurs, qui se demandent : «Mais pourquoi les choses se passent-elles ainsi ? », ce qui peut les amener à discuter entre eux. Pour ce qui est de savoir ce qui a déclenché la guerre, je pourrais donner une raison quelconque, mais si je veux être vraiment honnête, je dois dire au public :

    Vous savez déjà pourquoi les États-Unis sont frappés par une guerre civile, vous n’avez pas besoin de moi pour vous l’expliquer. Vous connaissez l’histoire des USA et la situation dans laquelle le pays se trouve actuellement. Vous avez donc en main toutes les réponses à vos questions et celles-ci s’appliquent également à votre propre pays.

    À l’exception de quelques allumés, je n’ai jamais rencontré personne -en tout cas, en face à face, pas sur les réseaux sociaux -qui n’exprime pas une certaine forme de peur de la polarisation politique si le sujet est abordé.

    Vous avez déclaré en interview que selon vous, Civil War était en quelque sorte le prolongement de Men, votre film précédent. Pouvez-vous développer ?

    J’ai dit ça dans le sens où ce sont des films qui refusent de dire au public ce qu’il doit penser. Vous savez, j’ai 53 ans, je travaille depuis un moment dans le milieu du cinéma moderne, et j’ai la sensation qu’une grande partie du cinéma actuel est obsédée par la volonté de dire aux spectateurs : « Telle est ma position, et c’est celle que vous devez adopter. » Ou bien encore : « Ne vous inquiétez pas, vous trouverez dans mon film toutes les réponses aux questions que vous vous posez. » On en revient à ce qu’on disait tout à l’heure. Je pense qu’un film, ça ratisse large, chacun interprète les choses de façon différente. En voyant Anatomie d’une chute, j’ai ressenti un immense sentiment de soulagement, car j’ai l’impression d’avoir été traité en adulte. Il y a beaucoup d’aspects du film qui m’ont plu, dont les performances des acteurs avec notamment celle du petit garçon et de cette actrice bouleversante. Mais ce que j’ai le plus apprécié, c’est d’avoir été considéré comme un spectateur adulte. J’espère appartenir à cette race de cinéastes — en tout cas, c’est mon ambition.

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    – Opération camouflage pour des snipers de l’armée de l’Ouest au style… peu discret

    Quelle est la différencs entre travailler pour un studio comme A24 et d’autres structures de production, que ce soient celles des majors ou d’autres sociétés indépendantes ?

    La première des choses, c’est que c’est très relaxant. Avec le temps, j’ai appris que quand vous avez des idées un peu spéciales, il faut les imposer en contrebande. Par exemple, dans un film de zombies où les zombies se mettent à courir, si vous voyez à quoi je fais allusion (Alex Garland est le scénariste de 28 Jours plus tard - NDR). Il ne faut pas dévoiler votre jeu si vous avez envie de faire passer certaines choses. Sinon c’est mort.

    Avec A24, il n’y a pas besoin de travestir vos intentions : ils se foutent qu’elles soient commerciales ou non. C’est quelque chose d’incroyablement libérateur. Je crois également, et n’y voyez aucun cynisme, qu’ils sont très doués en matière de business. Ils ont compris qu’il existe un public pour des films qui n’ont pas à suivre un cahier des charges imposé par l’héritage des grands studios, des films qui n’essaient pas de prévoir ce que le public acceptera ou pas. Les structures indépendantes qui appartiennent aux grands studios n’échappent pas à la règle.

    Pour vous donner un exemple, Ex Machina devait être produit pour Focus Features, qui appartient à Universal : ils ont toutefois lâché le projet, après nous avoir expliqué très poliment que le film était très bien fait, mais qu’il était trop chiant. (rires) Ça avait le mérite d’être honnète. Enfin, ils n’ont pas dit que c’était chiant, mais que le rythme du film était trop « européen », ce qui revient au même. Alors qu’avec A24, leur attitude, c’est plutôt : «OK, on aime bien votre projet, allons-y. » Ils ne se posent pas la question de savoir si ça va plaire ou pas, si ça va marcher ou pas; ils y vont et advienne que pourra. Bizarrement, d’autres studios ont commencé à faire pareil, à « mettre l’argent sur la table », comme on dit à Hollywood. En faisant des films provocants et controversés, plus épicés que la moyenne, A24 a créé l’air de rien un nouveau business model qui semble fonctionner car il existe un public pour ça.

    À propos du choix des musiques dans Civil War, on entend de la country, du rap, des styles très représentatifs des US sous leurs formes les plus diverses, comme si vous aviez voulu brosser un portrait musical du pays. Qu’est-ce qui vous a guidé dans le choix des morceaux ?

    Oui, c’est exactement ça. C’est d’ailleurs assez typique de la façon dont un film fonctionne. Si j’avais choisi des morceaux trop contemporains, à Coup sûr, ça n’aurait pas marché parce que ça aurait daté ke film et ça aurait donné l’impression qu’il se passe en ce moment. Or, de toute évidence, ce n’est pas le cas, et ça aurait brisé le contrat signé avec le public, qui consiste à lui dire : « Imaginez que ça puisse arriver. » J’ai donc opté pour des morceaux assez anciens, comme du rap des années 90 ou de la country du début des années 70, qui sont des périodes cruciales dans l’histoire de la musique américaine. Et la question que je me suis sans cesse posée, c’est bien sûr : « Quelle est la véritable fonction de la musique dans le film ? » D’une part, oui, elle est très représentative des États-Unis. Mais de l’autre, que doit-elle provoquer ? Doit-elle être séduisante, triste, joyeuse, agressive, discordante ? Doit-elle déstabiliser de manière délibérée ? J’ai donc fait très attention à ça. Cependant, je n’aurais pas pu utiliser de la musique européenne, Ça aurait foutu en l’air la crédibilité de l’environnement du film.

    Les personnages principaux appartiennent à plusieurs générations de photographes de guerre. En vous renseignant sur ce métier, avez-vous constaté une évolution significative dans la manière dont les plus jeunes abordent le métier par rapport à leurs aînés ?

    On voit en effet trois générations de reporters de guerre dans le film, mais les choses s’inversent dans le sens où la plus jeune utilise un appareil photo argentique. Je pense qu’on vit une époque où les journalistes sont très mal vus, on a fait d’eux des méchants. C’est quelque chose qui me dérange profondément, en partie parce que j’ai grandi dans un milieu journalistique - mon père dessinait des cartoons dans un journal et tous ses amis étaient des journalistes —, mais aussi parce qu’une démocratie ne peut pas exister sans liberté de la presse. Donc, si on commence à faire d’eux de mauvaises personnes, on détruit tout un État, c’est un acte totalement fou et irresponsable. Le film fait écho de façon délibérée à une forme de journalisme à l’ancienne où le but était de témoigner de ce qui se passe sans y prendre part. Il y a d’ailleurs une phrase qui dit : « Nous n’intervenons pas, nous enregistrons pour que d’autres puissent se faire une opinion. Notre rôle ici n’est pas d’émettre un jugement, mais d’observer. C’est notre rôle dans l’équation. »

    Et je pense qu’il s’agit là d’une forme de journalisme qui se perd, dans le sens où nos médias se sont transformés en tribunes d’opinions politiques. Peu m’importe qu’ils soient de droite ou de gauche. On fait face à quelque chose de très problématique : les gens ont besoin de pouvoir faire confiance à quelqu’un ou quelque chose, et c’est extrêmement dangereux de se borner à renforcer leurs opinions. Prenons par exemple quelqu’un dont la sensibilité le porte à gauche : s’il n’absorbe que des informations émises par des médias de gauche, il n’est confronté à aucune opinion différente de la sienne, et le danger est là. C’est pour cette raison que j’ai voulu parler de journalistes plutôt typiques des années 60 ou 70 et d’une certaine idéologie du métier.

    Que ce soit sur Fox ou sur CNN, cette idéologie est aujourd’hui corrompue. On se retrouve avec deux chaînes qui s’en prennent l’une à l’autre, et avec des spectateurs qui font pareil avec ceux d’en face. Mais pour moi, les journalistes ont une responsabilité bien plus importante que de choisir l’un de ces deux camps.

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    – Lee foule le camp principal de l’armée de l’Ouest, établi à Charlottesville.

    Dans le film, la journaliste jouée par Kirsten Dunst craint que son message d’avertissement ne soit pas entendu. Est-ce une crainte que vous partagez concernant la réception de votre film ?

    Oui, absolument, et c’est pour ça qu’elle dit : « Je pensais que mon job était d’envoyer un avertissement chez nous, et que celui-ci était “ne faites pas ça”. Et voilà ou nous en sommes. » L’une des choses que je trouve les plus alarmantes, mais aussi les plus intéressantes, dans la période que nous traversons actuellement — et ce depuis plusieurs années -, c’est que nous savons ce qui se passe, nous en parlons, mais rien ne change et ça ne cesse d’empirer. Pourquoi tous ces avertissements que nous recevons ne sont-ils pas pris en compte ? Pourquoi est-ce que la société ne s’adapte pas pour changer les choses pour le mieux ? À quoi sert d’avertir les gens si ça ne les empêche pas de faire de mauvais choix ? C’est comme si nous étions victimes d’une sorte d’impuissance. Si je parle avec quelqu’un, peu importe ses opinions politiques — sauf si elles sont trop extrêmes -, on tombera forcément d’accord sur beaucoup de points et on se traitera avec respect et courtoisie. Mais d’une certaine manière, les représentants du peuple semblent ne pas fonctionner ainsi. Pourquoi ? C’est cet aspect qui m’intéresse le plus : comment communiquer sans s’aliéner son interlocuteur.

    Avez-vous imaginé un passé pour le personnage du soldat joué par Jesse Plemons, ou bien l’a-t-il construit lui-même ? La scène où il apparaît est sûrement la plus choquante du film.

    C’est intéressant que vous me disiez que c’est la scène qui vous a le plus choqué. Je comprends pourquoi, je saisis la perspective. Mais j’ai souvent entendu, de la part d’amis ou de collègues américains, que la séquence la plus choquante est celle de la terroriste qui se fait sauter avec sa bombe, à cause de la façon dont est utilisé le drapeau américain lors de cette attaque. Là-bas, le drapeau, ce n’est pas comme en Europe : les gens lui donnent une signification très forte, et donc ils ont trouvé la scène particulièrement transgressive.

    Spoiler

    Mais vous savez quoi ? La chose que j’ai entendue à propos du film et qui m’a le plus choqué et fasciné à la fois, c’est que le moment le plus révoltant serait celui où on voit le président se faire abattre. Montrer Ça serait donc plus transgressif que de montrer un charnier, ce qui est tout de même très étrange, comme réaction.

    Quant à Jesse, oui, il a créé une backstory pour son personnage. Le jeu d’acteur est un art qui peut revêtir plusieurs formes très différentes et Jesse fait partie de ces acteurs qui font beaucoup de recherches, Il s’est mis à lire sur le massacre de My Lai, qui a eu lieu pendant la guerre du Viêt Nam, et puis il a décidé de porter ces fameuses lunettes rouges. La veille du jour où on a tourné la scène, il s’est pointé avec plusieurs paires de lunettes qu’il avait achetées parce qu’il s’était dit que ce type devait en porter et il a choisi les rouges. Il était donc juste venu pour avoir une conversation à propos des lunettes qui conviendraient le mieux à son personnage. Si je vous raconte ça, c’est pour vous donner une idée de la façon dont il pense en tant qu’acteur et de son niveau de préparation. Mais j’en parle aussi parce que très souvent, on attribue aux réalisateurs la paternité des caractéristiques d’un personnage alors qu’ils n’ont rien à voir avec. Ce personnage, c’est Jesse qui lui a donné vie. Beaucoup de gens mentionnent ces lunettes un peu bizarres, mais elles sont entièrement son initiative.

    Qu’avait-il inventé comme passé à son personnage ?

    Il m’en a parlé, mais je pense que je ne dois pas répéter ce qu’il m’a dit parce que ça risquerait d’interférer avec la manière dont on veut que le personnage soit perçu par le public. C’est comme ce qui aurait déclenché la guerre civile : je préfère éviter de trop en dire, car ça pourrait briser la relation que j’essaie d’avoir avec le public et je veux continuer à aller dans ce sens. J’ai bien conscience que je peux échouer à ce petit jeu, qu’il y a des gens qui optent pour plus de clarté et moins de débats. Mais bon, c’est comme ça que je fonctionne et je crois qu’en ne révélant pas ce que m’a dit Jesse, je protège ma façon de faire du cinéma.

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    – Le rédacteur fougueux Joel (Wagner Moura) guide Jessie lors de son premier reportage en milieu hostile.

    Comment êtes-vous parvenu à éviter que les scènes de guerre possèdent un aspect trop esthétisant, héroïque ou « romantique » ? Parce qu’en général, c’est quelque chose que même les films anti-guerre n’arrivent pas à esquiver…

    En ignorant autant que possible la grammaire cinématographique pour me concentrer sur celle de la réalité, sur ce qu’on voit avec nos yeux, mais aussi sur la grammaire des photographies et des bulletins d’informations. Même dans la scène du charnier avec Jesse Plemons, il y a de petites choses subtiles qui font que… Bon, vous pourriez me dire que c’est du director bullshit, parce que ça existe, aucun doute là-dessus ; mais sur ce coup-là je ne pense pas. Je m’explique. Normalement, quand vous filmez vers midi ou une heure de l’après-midi, la lumière est très agressive et les ombres sont très marquées. Il existe une technique un peu secrète qui consiste à tendre un grand voile qui diffuse la lumière et l’adoucit sur le visage des acteurs, ce qui les rend d’une certaine manière plus agréables à regarder. Eh bien, nous n’avons pas utilisé ce procédé.

    Autre chose : quand quelqu’un se prend une balle, est-ce qu’on a un gros impact dans son corps avec du sang qui gicle ? Non, il s’effondre et c’est fini. Et même un spectateur qui n’a jamais vu quelqu’un se faire tuer dans la vraie vie ou aux informations sait au fond de lui que les gens ne meurent pas dans la réalité comme au cinéma. La lumière sur les visages, la façon de montrer la violence… Tout ça change le ton du film. Si vous repensez à la séquence où des soldats avancent dans un couloir à la fin du film, et si vous regardez la manière dont elle est construite, il n’y a aucune compression temporelle. Elle est réalisée comme dans un film normal, avec des gros plans, des plans américains, des plans d’ensemble, des coupes de montage. Là, pour le coup, c’est vraiment de la grammaire cinématographique, sauf que c’est en temps réel.

    Quand j’ai tourné cette scène, trois des soldats étaient des Navy Seals, ou des ex-Navy Seals. Ils ont travaillé avec un autre Seal qui est Ray Mendoza, mon conseiller technique militaire, et ma seule façon de les diriger a été de leur dire : « Faites ce que vous feriez dans l’exercice de votre métier si vous vous retrouviez dans une situation où vous devez progresser dans ce corridor jusqu’à cette pièce, y compris dans vos actions et vos dialogues. Ne pensez pas à la caméra, ne pensez pas aux autres acteurs. Je Suis là pour vous filmer comme si j’étais un reporter de guerre. Faites juste votre truc. »

    En les filmant, on se rend compte qu’il y a un truc très anti-cinématographique : ce sont les pauses et les silences qui ponctuent leur progression quand ils se mettent en position pour être prêts à avancer de nouveau. Par ailleurs, quand ils communiquent entre eux, ils ne chuchotent pas, ils hurlent par-dessus le bruit des détonations, mais uniquement pour transmettre des informations très précises. J’ai donc tourné ça comme s’ils étaient en conditions réelles, et plus tard, j’ai montré la scène à quelqu’un travaillant dans l’industrie du cinéma qui m’a dit : « Tu devrais couper ces pauses. » Et je ne voudrais accuser personne, mais si cette séquence fonctionne, c’est justement grâce à ces pauses. Le spectateur, lui, sait instinctivement que cette scène est plus proche de la réalité que ce qu’il voit au cinéma en général. Et puis ce sont de vrais soldats qu’on observe en action, pas des acteurs. S’ils sont si crédibles devant la caméra, c’est parce qu’ils sont surentraînés. Ce qu’ils font à l’écran, ils l’ont fait de nombreuses fois dans la vraie vie, alors pas question pour le film de déconner avec Ça, ni d’enlever ces pauses parce que l’action n’avance pas assez vite ou de baisser le volume des coups de feu pour qu’on entende mieux une réplique.

    Ce que vous voyez, c’est ce que je voyais se dérouler devant moi et le bruit des armes est tel qu’il a été enregistré ce jour-là. Je suis persuadé que ça produit un effet sur le public, qu’il comprend qu’on n’est pas dans un James Bond. C’est plus sombre, plus effrayant. Je pense que voir quelqu’un qui s’écroule d’un coup après avoir été touché par une balle, comme s’il s’éteignait, c’est plus traumatisant que de le voir bondir en j’air sous l’impact en écartant les bras avec du sang partout.

    Je tenais à ce que Civil War soit le plus proche possible de la réalité et que la grammaire du cinéma y soit presque invisible.

    – Propos recueillis et traduits par Cédric Delelée.
    – Merci à Miah Kaplan, Hailey Pryor et Jean-François Gaye.
    – Mad Movies #381

    –> Interview fleuve plus qu’intéressante montrant l’intelligence de Garland, et bien qu’il soit Britannique, à une vision que je trouve extrêmement juste sur la politique US ainsi que du journalisme et des médias.

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    On aurait du mal à dire que le réalisateur d’Immaculée tire la couverture à lui. il ne tarit pas d’éloges sur le scénario qui lui a été confié, et aussi sur sa vedette Sydney Sweeney, véritable instigatrice du projet.

    Comment vous êtes-vous retrouvé à réaliser Immaculée ?

    Tout a commencé par un texto de Sydney Sweeney, qui me demandait si j’étais intéressé par la réalisation d’un film d’horreur. Elle s’était en effet concertée avec son partenaire de production Jonathan Davino, et aussi avec David Bernad, qui avait produit la série The White Lotus dans laquelle elle avait joué. Tous trois étaient déterminés à livrer un film d’horreur aux fans de Sydney, car après la saison 2 d’Euphoria, tout le monde réclamait de la voir dans le genre. Ils ont ainsi épluché tous les scripts d’horreur traînant à Hollywood, pour trouver quelque chose qui soit à la fois troublant et porteur de moments de flippe divertissants.

    Durant le processus, Sydney s’est souvenue du scénario Immaculée rédigé par Andrew Lobel. Car des années auparavant, quand elle était adolescente, elle avait auditionné pour ce projet, qui n’était jamais rentré en production. Or, maintenant qu’elle était dans sa vingtaine, le scénario la terrifiait toujours autant que quand elle était ado. Tous trois ont donc décidé de faire ce film coûte que coûte l’hiver suivant, et quand ils m’ont envoyé le projet, j’ai été très enthousiaste. Déjà, j’avais adoré collaborer avec Sydney par le passé (voir plus bas dans cette interview - NDR). En plus, c’était un des meilleurs scripts que j’avais jamais lus, et pas seulement pour l’aspect horrifique. Andrew avait essayé de faire un classique, une histoire simple où le Mal n’est pas une créature surnaturelle numérique qui finit terrassée par la foi, mais un vrai danger inéluctable qui grandit à l’intérieur de l’héroïne.

    Ainsi, quand j’ai lu le scénario, je me suis complètement attaché au combat interne du personnage avec ses propres croyances, et j’ai apprécié la direction moderne et non conventionnelle prise par l’histoire. En tournant les pages, j’ai été de plus en plus touché par l’effroi, tout en sentant combien le film pourrait être poignant. J’ai donc sauté sur l’occasion d’être impliqué. J’avais cependant une réserve sur la conclusion du scénario original, que j’ai tenu à changer. Comme vous l’avez vu, l’héroïne endure une quantité indescriptible de douleurs émotionnelles et physiques, et je voulais terminer sur un moment cathartique qui laisse le public dans un état de choc, pour qu’il soit hanté par le contrecoup de l’histoire longtemps après la projection.

    L’aspect non conventionnel dont vous parlez, c’est que le film paye son tribut à Rosemary’s Baby tout en s’en distinguant : le couvent ne cache pas des satanistes comme on s’y attendait…

    Absolument, et c’était taillé sur mesure pour Sydney. J’avais adoré le courage sous-jacent qu’elle avait donné à son personnage dans le film Reality, et j’avais tout autant adoré l’instabilité tumultueuse qu’elle avait apportée à Cassie dans Euphoria. Avec Immaculée, nous avons des versions extrêmes des deux facettes, puisque nous voyons la transformation du personnage d’un emblème de pureté en une créature sauvage couverte de sang. À mon avis, quel que soit le réalisateur choisi, Sydney aurait rendu ce rôle iconique. Quant à Rosemary’s Baby, j’adore ce film, et afin de lui rendre hommage, j’ai opté pour une approche cinématographique classique, pour refléter la vision du monde idéaliste de l’héroïne au début. Ensuite, à mesure que son corps tombe en morceaux et que sa foi s’érode, le style visuel devient plus primitif.

    Ce style visuel a été influencé par le fait que vous ayez tourné en Italie, avec une équipe et des acteurs locaux ?

    Oui ! Nous avons tourné dans un endroit appelé la Villa Parisi, qui a vu passer de nombreux cinéastes comme Mario Bava, ou même Andrea Bianchi qui y a réalisé Le Manoir de la terreur. Les murs étaient donc empreints du souvenir de tous ces cinéastes italiens géniaux, et j’ai voulu leur rendre hommage, sans que mon film soit trop didactique ou qu’il soit trop un retour en arrière. Cependant, ça a quand même été le cas. Vous voyez cette séquence en montage accéléré où l’héroïne, tout juste arrivée au couvent, prend ses marques ?

    Comme musique temporaire du montage, j’avais mis un morceau du score de Bruno Nicolai pour le giallo La dame rouge tua sept fois. Eh bien, quand il a vu le résultat, mon compositeur m’a dit de conserver cette bande-son ! Tout au long d’Immaculée, il y a ainsi des touches de cinéma italien, des inspirations prises dans des giallo classiques, comme le formidable Mais… qu’avez-vous fait à Solange ? . Ce que j’adore dans ce film, c’est que la pression masculine est l’antagoniste principal. Dans la façon dont le réalisateur Massimo Dallamano emballe ses scènes, on sent les rapports de pouvoir entre l’héroïne et les hommes qui l’entourent. À un moment d’Immaculée, sœur Cecilia, le personnage de Sydney, est interrogée par le prêtre et un cardinal. La manière dont j’ai mis en scène cette séquence est directement inspirée par le travail de Dallamano.


    – Le réalisateur Michael Mohan dirige ses comédiens lors d’une scène en intérieur.

    Le film est aussi très réaliste dans son mélange de dialogues en anglais et en italien.

    C’est que le personnage est comme un poisson hors de l’eau. Quel meilleur moyen qu’une langue que l’héroïne ne comprend pas, pour la montrer aussi désorientée que possible ? Nous le voyons dès sa première interaction avec ces hommes qui ont cette discussion inappropriée devant elle. Elle devine qu’ils parlent d’elle, mais elle ne sait pas trop quoi faire ou dire. J’ai pensé que c’était un super moyen d’ancrer le film dans la réalité, et de rendre ses prémisses inconfortables.

    Vous avez effectué des recherches sur la vie quotidienne dans les couvents ?

    J’ai effectué une bonne quantité de recherches, mais pour autant, je ne voulais pas être gêné par cela, le film étant une œuvre de fiction. Cela dit, comme ce n’est pas une histoire surnaturelle, la terreur est réelle, et je voulais donc qu’elle semble aussi authentique que possible… (il réfléchit) J’essaie de penser aux films de nonnes qui m’ont vraiment inspiré. Il y a Le Narcisse noir, que j’adore pour son opulence visuelle — ce n’est pas l’habituel monastère, austère et rigide. De même, notre couvent a de magnifiques fresques aux murs, et paraît très cossu. Je pensais que, comme dans Le Narcisse noir, ce serait un bon environnement pour accompagner le personnage dans ses tourments spirituels. Par ailleurs, j’adore le travail de Ken Russell, en particulier Les Diables, et je voulais retrouver son esprit, qui était de faire des choses à la fois polémiques, réfléchies et divertissantes.

    Mais quand je parlais des recherches, je voulais souligner que les jeunes nonnes ont un passé particulier, ce qui donne de l’intérêt à l’exposition de l’histoire…

    Merci ! Tout cela vient du scénario d’Andrew Lobel, qui m’a également attiré parce qu’il fait du couvent une résidence pour personnes âgées, en quelque sorte, comme une dernière halte avant le paradis. Sœur Cecilia ne se contente donc pas de vivre sa vie spirituelle ; elle sert aussi d’aide-soignante pour les vieilles nonnes qui sont là, et cet aspect voulait dire beaucoup pour moi. Au niveau des personnages secondaires, j’ai adoré le fait qu’Andrew les a caractérisés d’une façon très spécifique, sans que cela ne soit jamais aux dépens du rythme. Immaculée dure 89min et… Comment dire cela ? Eh bien, toutes les parties qui m’ennuient d’habitude dans les films d’horreur n’étaient pas dans son scénario ! Andrew a intégré les arrière-plans de chaque personnage d’une manière super efficace et effrayante.

    Dans le détail, comment avez-vous travaillé avec Sydney Sweeney ?

    Justement, elle effectue une énorme préparation avant le tournage. Elle conçoit des sortes de journaux intimes, des albums-souvenirs contenant le passé de son personnage. Ce dernier est ainsi construit de sa naissance jusqu’à tel moment du scénario. Et avec cette manière de procéder, quand vous tournez une scène avec Sydney, elle puise des émotions dans des souvenirs qui n’étaient même pas sur le papier, ce qui donne à son personnage un caractère tridimensionnel, y compris quand elle n’a pas beaucoup de dialogues à dire. Immaculée est ma troisième collaboration avec Sydney, car je l’avais connue sur Everything Sucks !, une série originale Netflix.

    J’ai été d’emblée impressionné par son talent d’actrice, mais aussi par son attitude envers l’équipe. Les jours où elle ne travaillait pas, elle venait quand même sur le plateau, et s’accrochait aux pas de l’assistant-caméraman ou de l’ingénieur du son, pour en apprendre plus sur leur métier. C’est le genre de curiosité qui pousse une équipe à livrer le meilleur travail possible. Avec Immaculée, nous nous sommes ainsi efforcés de capter l’élégance de son interprétation du rôle de sœur Cecilia.

    En 2021, vous l’aviez dirigée dans le thriller The Voyeurs. Vous évoluez tous deux de la comédie à des genres plus rudes ?

    Nos films préférés, à Sydney et à moi, sont des œuvres qui y vont vraiment à fond, qui n’ont pas peur d’être audacieuses. Ainsi, The Voyeurs était délibérément très, très sexy. Et dans Immaculée, j’ai vu l’occasion de faire la même chose avec le cinéma d’horreur, c’est-à-dire livrer un film qui ne retienne pas ses coups, où tout soit complètement viscéral et brutal. De la même manière, Sydney voulait tout péter, crier à la mort, être couverte de sang des pieds à la tête. Car elle sait que notre relation crée un environnement où personne n’a peur d’être jugé, oüilyaun profond respect pour ce que chacun apporte sur le plateau. Vous pouvez ainsi prendre des risques, tester des idées quitte à ce qu’elles ne fonctionnent pas.

    Dans notre critique, nous écrivons que le film est un bon compromis entre l’elevated horror et les productions Blumhouse. Qu’en pensez-vous ?

    C’est le meilleur compliment que nous pourrions recevoir, car nous voulions faire un film pimenté de sursauts traditionnels mais élégants. D’un autre côté, j’adorais le fait que ces jump scares n’étaient pas trop malins, qu’ils étaient toujours reliés à l’histoire. Quand j’ai lu le scénario la première fois, j’ai cru savoir où il allait, puis j’ai été complètement aveuglé par cette série de rebondissements. J’ai envie de faire autant de films que possible avant de mourir, et je voudrais que les gens s’en souviennent. Or, Sydney et ses partenaires Jonathan Davino et David Bernad sentent vraiment le pouls du public jeune, malin et branché.

    La série de ce dernier The White Lotus est ainsi un parfait exemple de comédie axée sur les personnages, à l’humour délirant. Nous avons essayé de faire un peu la même chose avec Elisha Christian, qui est mon directeur photo de longue date - nous travaillons ensemble depuis décennies, car il était mon compagnon de chambrée à l’université. Notre idée était de conférer de l’élégance visuelle à Immaculée, sans que cela se fasse aux dépens de sa nature de simple film d’horreur pop-corn.

    Le distributeur américain Neon est un bon partenaire pour cette démarche ?

    Absolument. J’aime toute la gamme du cinéma d’horreur, l’elevated, les slashers des années 80, le giallo des années 70, etc. En même temps, j’espère qu’Immaculée a sa propre saveur. Et ce qui est super avec les gens de Neon, c’est qu’ils comprennent la nécessité de mettre des films audacieux sur le marché, et qu’ils savent que cela demande un très grand soutien.

    Franchement, mec, je suis en train de vivre un rêve éveillé. J’ai réalisé des longsmétrages indépendants, de la télévision, des films pour les plateformes. Mais depuis l’âge de cinq ans, je souhaite qu’une de mes œuvres soit distribuée en salles, C’est enfin arrivé, et je ne pourrais pas être entre de meilleures mains.

    – Propos recueillis par Gilles Esposito.
    – Merci à Lucy Kent, Marie Plante-Germain et Jessenia Barberena.
    – Mad Movies #380

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    Tombé dans la cinéphilie pendant son service militaire, Jason Yu se forme au métier à l’université et sur les plateaux de tournage. Entre la réalisation de ses deux courts-métrages, Video Message (2014) et The Favor (2018), il enfile la casquette d’assistant-réalisateur sur Okja de Bong Joon Ho. Son premier long joue des mêmes ruptures de ton que ses aînés, au service de son regard tout personnel sur le couple.

    Le public français a une image très sombre du cinéma de genre coréen, au travers des films qui nous parviennent aujourd’hui encore en salles ou en VOD. Est-ce représentatif de la production contemporaine ?

    Comme dans tous les pays, il y a en Corée une variété de styles, de tons. Cela dit, un certain nombre de films ont cette noirceur, cette violence, et ce sont ceux qui attirent le plus l’attention, pour leur caractère stimulant. Mais ça ne date pas d’hier : il y a une longue tradition de films de ce type en Corée, je ne saurais trop vous expliquer pourquoi. J’ai grandi en les regardant, je les apprécie, et c’est le cas de nombreux spectateurs coréens. Il y a deux-trois ans, ces films noirs marchaient très bien. Mais la majorité du public cherche désormais d’autres tonalités, plus heureuses, plus positives. L’an dernier, les plus gros succès étaient des comédies ou des films romantiques ; le changement était notable.

    Il y a un certain décalage comique dans plusieurs scènes de Sleep

    Dès que j’ai commencé à faire des films, mon but a toujours été de faire une comédie romantique, car c’est mon genre préféré. Quand l’idée de Sleep m’est venue, le sujet a dicté cette orientation vers l’horreur, sans que j’en sois particulièrement féru. J’ai dû faire une séance intensive de rattrapage pendant la préparation, j’ai regardé beaucoup de thrillers pour comprendre le genre, l’étudier afin de me l’approprier, Mais même avec ce parti pris, mon goût pour la comédie romantique était encore bien présent. Même lorsque je montrais quelque chose d’effrayant, de stressant, il y avait toujours cette chaleur, c’est une sensation que j’essaie d’insuffler dans tout ce que je fais, que ce soient mes courts métrages ou mes scénarios.

    Les touches humoristiques jaillissent de façon impromptue, au beau milieu de situations dramatiques, comme dans les films de Bong Joon Ho, de Park Chan-wook ou même de Na Hong-jin. Diriez-vous qu’il s’agit d’un trait caractéristique du cinéma coréen ?

    Oui, je pense que c’est très coréen. Notre génération de réalisateurs a grandi devant les films des metteurs en scène que vous avez cités, et cet aspect fait partie de ce que nous avons assimilé. Ceci étant dit, dans le cas de Sleep, je n’ai jamais cherché à faire de la comédie. Je n’en étais pas à me dire que telle scène devait être drôle, à penser telle réplique comme une punchline devant faire rire le public. J’ai toujours envisagé mes films comme des drames, mais chaque fois qu’ils sont programmés en festivals, ils sont rangés dans la catégorie « comédies », ce qui me fait m’interroger.

    Je pense que c’est à cause de mon goût pour les situations absurdes. Rien que le fait d’avoir des personnages qui réagissent sérieusement dans de telles conditions, ça crée une ambiance susceptible de déclencher des rires, sincères ou nerveux. C’est de là que ça vient, sans doute. La comédie est un genre pour lequel j’ai le plus grand respect, car faire rire est une tâche noble, à laquelle j’aimerais beaucoup m’atteler un jour. Mais Sleep appartient à un genre différent.

    Toute l’énergie du film repose sur les comédiens, ils livrent de fait une performance sidérante, sans outrance non plus.

    Merci beaucoup, vous n’imaginez pas à quel point je suis content d’entendre ça. Étant donné la configuration du film, tourné dans un décor unique avec peu de personnages, sans les interprètes appropriés, ça n’aurait pas pu marcher. C’est pour ça qu’on s’est concentrés sur leur performance plutôt que sur l’arrière-plan, ou sur l’élaboration de plans astucieux, techniquement compliqués.

    Aviez-vous prévu de rester dans l’appartement dès le départ ?

    Non, mais en écrivant le scénario, je me suis aperçu que non seulement toute l’histoire pouvait se dérouler dans cet espace, mais que ça correspondait mieux à ce que j’essayais de raconter. Et plus l’intrigue avançait, plus ça devenait un défi intéressant à relever. Il y a cette idée que les contraintes aident à trouver de l’inspiration, ce fut le cas ici, et ça m’a incité à chercher des détours pour que l’histoire reste pertinente, ça m’a poussé à être plus créatif. Je n’avais pas encore la production en tête à ce stade, mais plus tard, j’ai réalisé que c’était un argument en faveur du projet. Quand il a fallu démarcher des producteurs, des financiers, l’industrie cinématographique coréenne traversait alors l’un de ses pires moments, aucun film ne se montait. Même les films qui avaient été validés voyaient leurs fonds disparaître. Lorsque l’annonce du tournage de Sleep a été publiée, ça a fait du bruit, mais c’était un projet assez peu risqué, en décor unique, avec deux acteurs, doté d’un budget peu élevé.

    Comment le cinéma coréen s’est-il retrouvé dans cette situation ?

    C’était surtout à cause de la crise sanitaire, de la Covid-19. Les cinémas ont particulièrement souffert, comme partout dans le monde. Il y a eu un repli vers les plateformes de streaming. L’industrie a beaucoup souffert, et elle souffre encore.

    Aviez-vous ces acteurs en tête dès le début ?

    Jung Yu-mi et Lee Sun-kyun sont des légendes en Corée. Même dans mes rêves les plus fous, je n’imaginais pas un casting pareil. Lorsque j’ai rencontré pour la première fois le producteur du film, il m’a demandé mon casting idéal, pour qu’on s’en approche le plus possible. Les noms de Jung Yu-mi et Lee Sun-kyun me sont venus tout de suite, parce que ce sont d’immenses comédiens, qui ont développé une incroyable alchimie dans leurs collaborations précédentes, notamment dans les films de Hong Sang-soo. Pour tout ce qui concerne la description de la vie de couple à l’écran, il est beaucoup plus facile de filmer une scène de confrontation, de dispute filmée de façon opératique.

    Le plus dur, c’est de trouver l’alchimie, ce qui rend une relation particulière. Il faut sentir le sentiment amoureux, et ça ne peut pas se compenser par la mise en scène. Or je savais que Jung Yu-mi et Lee Sun-kyun pouvaient exprimer ce sentiment. Le producteur m’a dit que même les plus grands acteurs peuvent accorder de l’intérêt à des scripts tant que ceux-ci leur plaisent, et donc que ça valait le coup d’essayer. Par chance, le scénario leur a plu; on s’est rencontrés, on a échangé, tout s’est passé de façon assez naturelle. Il n’y a pas eu besoin de chercher de plans B ou C.

    Les différentes bascules de l’intrigue font qu’ils sont en quelque sorte le principal effet spécial du film…

    J’étais inquiet à l’idée que l’un des deux ne puisse finalement pas tenir le rôle. Il fallait en effet des interprètes capables d’incarner ces changements. Je redoutais en particulier que Lee Sun-kyun ne soit pas convaincu, étant donné que son personnage reste passif pendant une grande partie de l’intrigue. Heureusement, ça n’a pas été le cas. Il pensait que tout le film menait vers ce dernier acte où il allait devoir livrer une grande performance. Et je trouve que c’est vraiment le cas.

    C’est toujours compliqué de voir l’ultime film d’un interprète sans être troublé par des échos à sa disparition. Je n’ai pas l’impression que ce soit le cas dans Sleep.

    Je ne crois pas non plus. Ce qui est arrivé à Lee Sun-kyun est vraiment tragique. Je ne m’imagine pas revoir Sleep ou un autre de ses films d’ici un moment. Le sentiment de tristesse est trop fort. Quand on tournait… Je ne sais pas. Je n’ai rien remarqué. Il était très professionnel, content d’être là.

    Sleep est un hommage à l’acteur phénoménal qu’il était.

    Absolument. C’était l’un des plus grands acteurs coréens, pour ne pas dire mondiaux. Je lui suis très reconnaissant, je lui dois ma carrière. Sans lui, Sleep n’aurait pas pu se monter. Même si le temps que nous avons passé ensemble a été relativement bref, il se comportait toujours comme une espèce de grand frère, et c’est quelque chose qui revient souvent dans la bouche de ses proches et de ceux qui ont collaboré avec lui. Bien qu’il avait vingt fois plus d’expérience que moi sur un plateau, il avait néanmoins beaucoup de respect pour le projet. Il essayait sans cesse de m’inciter à me dépasser, et à le pousser à aller au-delà de ses limites.

    Quand il voyait que quelque chose n’allait pas ou que je ne me donnais pas à fond, il me le faisait remarquer. Il m’a fait devenir un meilleur réalisateur, même si j’ai encore de la marge pour m’améliorer. Je lui dois beaucoup. L’an dernier à Cannes, il faisait la promotion de deux films, Sleep et Project Silence, et il avait très peu de temps libre entre deux interviews. Pendant cinq minutes de pause sur une plage, je l’ai remercié pour son implication dans le film, et il m’a dit en retour que l’expérience lui avait vraiment plu. Je lui ai fait promettre d’au moins apparaître dans mon prochain film et il m’a répondu : « Oui, bien sûr ! Dans tous tes prochains films. » Je lui ai demandé s’il aimait les comédies romantiques, ce à quoi il a rétorqué : « Oui, je suis super dedans ! » C’est mon souvenir préféré avant que le drame n’arrive. C’est vraiment triste de se dire qu’il n’est plus là, que nous ne verrons plus de film avec lui.

    Comment le film a-t-il été reçu en Corée ?

    J’ai redouté la projection cannoise, ainsi que toutes celles qui ont suivi en festivals justement parce que le film n’était pas sorti en Corée, d’autant qu’il s’agit de mon premier long-métrage. Mais le film a été très bien reçu dans chaque festival, ce qui m’a donné confiance pour la sortie coréenne… Il s’agit en effet d’un autre processus à part entière, qui s’est révélé encore plus stressant. Il fallait suivre les chiffres, tenir le compte jusqu’au moment où le film se remboursait, et ce tous les jours. J’étais de plus en plus nerveux. Finalement, il a fait plus que ce que j’imaginais. En 2023, beaucoup de films n’ont pas réussi à amortir leur investissement, et Sleep est parvenu à dépasser ce seuil. Je me sens chanceux, heureux que le film ait rencontré son public.

    Allez-vous basculer vers la comédie romantique pour votre prochain film ?

    (sourire) Je ne suis pas encore sûr. J’ai beaucoup de projets en tête. J’aimerais être capable d’écrire et réaliser une comédie romantique, mais ça me semble difficile pour le moment. Il faut que je trouve le bon angle d’entrée. Sinon, j’ai une idée pour un film d’horreur mystérieux dans la lignée de Sleep, mais d’une autre envergure.

    Le moment est-il plus propice pour un projet plus ambitieux ?

    Les producteurs sont plus confiants pour me confier un plus gros budget. Ce ne sera pas non plus un blockbuster, ce n’est pas quelque chose qui me motive. Il faut que l’histoire m’intéresse, l’ambition du projet découle de ça.

    – Propos recueillis et traduits par François Cau.
    *– Merci à Carole Chomand.
    – Mad Movies #379

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    Venu du théâtre, passé par la réalisation de courts-métrages pratiquant déjà le mélange des genres avec hardiesse, Stéphan Castang déboule dans le paysage cinématographique à la force de ses poings bagués. Il s’autorise une pause dans son marathon festivalier et promotionnel pour défendre son premier long, sourire en coin et café en intraveineuse.

    Trois films français coup sur coup, Acide, Le Règne animal et donc Vincent doit mourir, ont une scène clé avec un déchaînement de violence pendant un embouteillage. Comment l’expliquez vous ?

    Je n’ai pas vu le film de Just Philippot, mais ça m’a frappé quand j’ai vu Le Règne animal. Le long de Thomas Cailley m’a surpris au-delà de ça, parce que je trouvais qu’il y avait beaucoup de cousinages entre nos approches. Lui, c’est Pierre Bachelet (la chanson Elle est d’ailleurs a son importance dans le scénario du Règne animal - NDR), moi, c’est Dave (idem pour Vanina dans Vincent… — NDR) - chacun ses névroses…… (rires) Pour revenir à l’embouteillage, c’est une figure de style, le type de scènes que l’on voit souvent dans un cinéma plutôt anglo-saxon, et je pense qu’il y a une envie de s’y coller, de voir comment on peut s’en emparer. Je crois que ce qu’il y a de commun aux trois films, c’est le chemin entre la vie urbaine et le retour à la nature, du moins à la campagne. Donc forcément, c’est irrésistible de se prêter à l’exercice.


    – La scène de l’embouteillage tourné dans le pays de Retz à nécessité un dispositif complexe, mis qui c’est avéré payant.

    En voyant ces trois films, il se dégage l’impression d’une nouvelle-nouvelle-nouvelle vague de cinéma de genre français à part entière, cette fois-ci plus en phase avec son temps. Est-ce que cet élément vous a interpellé à la lecture du script ?

    Pas vraiment. Justement, le travail de réécriture qu’on a fait avec Dominique Baumard a consisté à l’amener à ça, tout en conservant une dimension un peu plus universelle. Dans le script de Mathieu Naert, il n’y avait que Vincent qui était victime du phénomène. Pour moi, c’était limitatif, on était presque dans une chose qui relevait de la culpabilité : si ça s’acharne uniquement sur lui, c’est bien qu’il y a une raison. Je trouvais plus intéressant qu’on soit sur un démarrage où on se dit que ce type est taré, puis qu’à un moment une rencontre l’ancre dans le réel. Il n’est pas taré, c’est le monde qui est taré. Quand les producteurs m’ont fait lire le scénario, je pensais en garçon poli que j’allais le lire pour le refuser, car j’adhère plutôt à l’idée bien française de filmer ce que j’écris. Maïs il y avait une chose que je trouvais extrêmement intelligente, c’était une manière très concrète et sans psychologie - et donc finalement très cinématographique — de parler de la violence. Je ne me pose pas la question du genre, je m’en fous ; un film est un film, ça peut être à la fois drôle, dramatique, il peut y avoir de l’action. Je n’aime pas vraiment être sur une étagère.

    La démarche des productions Capricci dans le domaine du cinéma de genre a cette singularité d’associer des réalisateurs à des scripts dont ils ne sont pas les auteurs. Il est encore trop tôt pour avoir du recul sur cette démarche, mais est-ce que je peux tout de même vous demander ce que vous en pensez ?

    C’est intéressant parce que ça va a contrario des habitudes, ce qui est toujours une bonne chose - et particulièrement quand il s’agit d’habitudes du cinéma français. D’autant plus que Capricci est plutôt ancré dans le cinéma d’auteur, où c’est encore davantage une pratique qui dérange. Je ne peux parler que pour mon cas, mais je trouve que ça a des vertus. À l’arrivée, j’ai tout de même l’impression d’avoir fait un film assez personnel tout en partant du travail de quelqu’un d’autre, et ce déplacement là est intéressant parce que j’ai pu à la fois creuser mes propres névroses à partir de celles d’un autre. Le cinéma est avant tout un travail de troupe, d’équipe. Ce qu’on appelle le cinéma d’auteur ou la politique des auteurs se référait au départ à des réalisateurs comme Hawks ou Hitchcock, pour défendre une écriture purement cinématographique, ceux-ci n’étant pas les auteurs des scénarios — c’est étrange d’ailleurs comment au fil du temps, c’est devenu complètement autre chose.

    Il y a un débat, essentiellement critique, autour de la nouvelle-nouvelle-nouvelle vague de cinéma de genre français, qui est accusée de ne pas assumer le fantastique, de s’en servir pour finalement faire du cinéma d’auteur déguisé.

    Je vais y avoir droit aussi. Il y a une expression qui disqualifie automatiquement : «C’est un film de genre à la française. » Tout est dit. On voit bien ce qui se cache derrière ça. C’est énoncé parfois par des gens dont j’estime le regard, mais je trouve étrange de se poser en défenseur, en cerbère de la porte des films de genre. On a reproché à La Nuée son mélange de film social et de film de genre ; je trouvais que c’était intéressant. Qu’on aime ou pas, c’est un débat, mais de dire que ce n’est pas un film de genre… Le fait de disqualifier ça enferme, ça traduit une volonté que les choses ne bougent pas. On va faire des films où on va essayer — d’imiter les Américains, et être de toute façon toujours plus mauvais qu’eux pour faire ce type de films.

    Il a été reproché à Acide de Just Philippot de ne pas respecter les règles du genre. Et justement, le phénomène au cœur de Vincent doit mourir est animé par des événements arbitraires et aléatoires.

    Oui, j’ai déjà lu des articles qui dérouillaient bien le film sur cette question là. J’avoue que ça me fait beaucoup rire, et en même temps je comprends. D’habitude, on a des règles, on sait comment ça marche et on s’y tient, j’aimais justement que ce ne soit pas si clair que ça, ça m’amusait. C’est peut-être une des influences de la Covid. Mathieu a écrit le scénario avant, j’ai commencé à travailler à nouveau dessus justement en faisant gaffe de ne pas être sous influence, je n’avais pas envie de faire un film sur ce sujet, ça m’aurait semblé complètement con. Mais inconsciemment, le caractère illogique déteint. Vous avez compris comment ça marchait, la Covid ?

    Non.

    Voilà. Et donc pourquoi faudrait-il, en proposant un postulat de fiction fantastique, qu’on soit plus logique, et donc plus rassurant, que le merdier que nous avons traversé ? Il est beaucoup plus inquiétant qu’on ne sache pas, qu’on ne comprenne pas quand ça marche et quand ça ne marche pas. Je tenais à cette scène du barrage avec les gendarmes : on se dit que ça va dégénérer, et en fait il ne se passe rien. Mais ça permet de créer une tension, d’avoir cet état d’insécurité. Si les règles sont bien posées, on sait ce qui va arriver, on avance avec des bornes tout le long du film. Je sais que ça dérange les partisans des codes, des règles du genre. Ce sont deux visions du monde, je ne peux pas leur reprocher de ne pas aimer le film à cause de ça.

    Vous aimez que les spectateurs soient déconcertés ?

    C’est ce que je préfère au cinéma. Je n’impose aucune hiérarchie à ma cinéphilie ; il n’y a pas d’objets nobles et d’objets impurs, ça va de Robert Bresson à Stuart Gordon. Ce que j’aime, c’est ne pas savoir où on va, qu’il y ait une expérience physique devant un film. Avec Mad Max: Fury Road, j’étais ravi : je n’ai pas le permis de conduire, mais j’ai conduit pendant deux heures, j’étais en sueur ! C’est une des multiples vertus du genre : il permet de proposer une autre expérience du réel, de notre présent, de parler autrement du bordel dans lequel nous vivons sans être obligés d’apporter des réponses sociales. C’est ça aussi qui m’intéressait, d’être dans un film où les corps allaient agir. Le genre permet aussi de ne pas être sur la question du pourquoi, mais du comment. Vincent ne se pose à aucun moment la question de ce qu’il a fait, il n’est que sur des questions pratiques, d’adaptation, de survie. Ce sont des questions qui permettent de ne pas être dans un cinéma d’intention mais dans le mouvement.


    – Tournage dans la région Auvergne-Rhône-Alpes.

    Il y a un aspect fascinant, c’est la façon dont vous arrivez à doser la violence, entre un effet comique incongru et la brutalité. Comment avez-vous abordé cet élément ?

    L’humour était essentiel. Je sentais à la lecture du script qu’il y avait des situations où il suffisait qu’on pousse les potards pour que ça soit drôle. C’est un traitement que j’ai appliqué dans mes courts métrages : faire que ce soit drôle, mais que le rire ne soit pas obligatoire ; si on décide de ne pas en rire, ça n’empêche pas l’expérience du film. Ça exige donc des actrices et acteurs de jouer vraiment au premier degré. Je leur demande de ne pas apprendre le texte de certaines scènes pour qu’ils ne pensent pas à la ligne de dialogue mais à la situation, ce qui peut leur permettre d’inventer des choses irrésistibles pour peu qu’ils soient dans une forme de lâcher-prise. Je pense à la scène de déposition chez les flics au début, ce que les comédiens ont improvisé est incroyable, et ça marche parce qu’ils ne la jouent pas comme un gag. On se demande pourquoi on rit, ce qui nous fait accepter la violence parce qu’on ne sera pas dans une forme de complaisance dans le glauque ou dans le démonstratif. Pour la violence, il fallait que ce soit sale, je ne voulais pas qu’on soit dans le fun, dans une forme de virtuosité.

    Pour qui a déjà vu des combats dans des bars ou y a participé de façon très involontaire, les gens se foutent sur la gueule, il n’y a pas de pêches comme on voit dans les films, ça griffe, ça se tire les cheveux, les vêtements. C’étaient des réflexions que j’avais avec deux partenaires précieux, Manu Dacosse, le chef op, et Manu Lanzi, le régleur des cascades. C’était l’enjeu : il fallait que ce soit réglé, chorégraphié, mais il fallait que ce soit sale, sans malgré tout, avoir peur du trop. D’où la scène dans la merde, à laquelle je tenais énormément. À la base, c’était presque un hommage à Invasion Los Angeles de Carpenter, il fallait une scène de combat hyper longue. Mes névroses ont fait que c’était dans une fosse septique. Pourquoi ? Je ne sais pas, ça doit être une réminiscence de Salo. Avec le chef déco Samuel Charbonnot, on s’est dit qu’il fallait vraiment que ce soit L’Enfer de Dante - les dimensions de cette fosse, ça n’existe pas, nulle part. Au niveau du travail de la caméra, on a surtout utilisé des plongées, et il y a aussi une mutation par rapport à l’esthétique générale du film. Et pour nous, au tournage, c’était une bascule : Karim Leklou et Guillaume Bursztyn ont fait preuve d’une générosité dingue. Parce que ça a été une surprise pour eux, la taille de la fosse septique. Ils ont répété le combat sur des tapis, à plat, sans se douter des conversations que j’avais avec le chef déco… Mais ils ont fait leur chorégraphie vaille que vaille, jusqu’à l’épuisement. On s’est dit qu’on faisait vraiment n’importe quoi, et on n’avait pas d’autre choix que de continuer et faire de pire en pire. (sourire)

    Cette année, Karim Leklou est déjà monumental dans Goutte d’or de Clément Cogitore, mais dans votre film, il est tout aussi stratosphérique.

    Je ne suis plus sûr d’être totalement objectif, mais je pense que c’est un de nos plus grands acteurs. Je le trouve passionnant parce que je ne sais pas par où ça passe, je ne vois pas les coutures. Il est à la fois M. Tout-le-Monde et extrêmement singulier, il a une douceur, mais aussi une très grande brutalité. Il est planté en terre, il est là, d’aujourd’hui. Et avec ses partenaires de jeu, c’est quelqu’un qui passe la balle, ce qui était essentiel parce que les seconds rôles sont très importants, car ils dévoilent une facette de Vincent. Il a enfin une dimension burlesque, ce qui était fondamental. Il a complètement pigé la tonalité et l’équilibre du film. Je ne fais pas répéter, je pense que ça use des moments d’invention ; ce que je trouve intéressant au cinéma, c’est qu’on peut justement capter le moment où l’acteur invente. En revanche, on a beaucoup parlé avant, on a beaucoup regardé le scénario pour construire et déconstruire, voir ce qu’il ne fallait pas faire. J’ai fait ce même travail avec Vimala Pons, à part — je ne voulais pas user leur rencontre pour qu’on la voie à l’image. On a surtout répété les scènes de combat avec Manu Lanzi.

    Vous avez évoqué la question de la Covid. Est-il possible d’appréhender la communauté des Sentinelles comme des complotistes antivax ?

    On peut les voir comme des complotistes. Là-dessus, je n’ai pas de jugement. Après, il y a des choses qu’il convient de condamner, mais je ne pense pas que ce soit le rôle d’un film. Pour dire où est le Bien ou le Mal, il y a des églises, des synagogues, des mosquées selon sa névrose, mais moi, je sais que ça me gonfle toujours Avec l’infographiste, clairement, pour le site des Sentinelles. on s’est inspirés d’un site complotiste. Mais Je lui disais, sur le contenu du site, mets-le en écriture inclusive, qu’on ne soit pas dans le cliché justement, que ce soit plus compliqué que ça. Quand on entend Élisabeth Lévy à la radio, là c’est autre chose : c’est un frottement avec le réel, les commentaires habituels dès qu’il y a un problème, la recherche d’un bouc émissaire. Il fallait que le hors champ annonce la propagation, c’était un moyen de procéder, et de rendre un hommage au travail et à la carrière d’Élisabeth Lévy. (sourire)

    De plus en plus, le cinéma français, par consanguinité avec les groupes télévisuels présents dans les financements, intègre des présentateurs et éditorialistes qui viennent jouer leur propre rôle, mais votre film établit une distance.

    Il y a un modèle là-dessus, c’est Paul Verhoeven, en particulier ce qu’il a fait dans RoboCop et Starship Troopers. C’est une façon d’avoir à la fois le micro et le macro, ça permet de faire des ellipses, d’aller à l’essentiel de l’expérience que doivent procurer les films. Je n’avais pas envie d’intégrer la télé parce qu’il y a déjà beaucoup d’écrans, je préférais que ce soit de l’audio, du hors-champ, qu’on puisse se construire les images soi-même. Puis soyons honnêtes, c’est bien moins compliqué à faire aussi. Le générique de début est également une façon de mettre en scène cette idée, à travers l’aspect visuel inspiré de Saul Bass et la musique de John Kaced, un compagnon de longue date que je considère quasiment comme un coscénariste du film à part entière.

    – Propos recueillis par François Cau.
    – Merci à *Monica Donati. *
    – Mad Movies #376

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    Bon on en parlait du remaster 4k des 12 singes, il est dispo et comme je le pensait c’est pas fou, y’a beaucoup de grain ce qui fait que ça apporte pas un gros plus

    Titanic par exemple lui est magnifique en 4k

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    Pour ceux qui n’ont pas la ref urotsukidojiesque 😉

    J’ai connu cet OAV (et d’autres) assez jeune via la collection VHS Manga Video. Il m’avait traumatisé et hypnotisé à l’époque ! C’était violent mais l’histoire et l’animation était canon !

    https://fr.wikipedia.org/wiki/Urotsukidoji

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    Habitué des pages de MadMovies (il nous parlait notamment de Cold Skin dans le numéro 323 et de Gangs of London dans le numéro 343), Xavier Gens n’a pas eu le temps de s’ennuyer ces dernières années. Nous avons retrouvé le cinéaste sur le plateau de son prochain film, un prometteur shark movie produit par Netflix, pour revenir sur les enjeux stylistiques et commerciaux de Farang

    Vous avez commencé à travailler sur Sharks alors que vous tourniez Farang. Toutes proportions gardées, bien sûr, c’est une démarche à la Spielberg !

    C’est une grosse comparaison, je suis très flatté, mais c’est vraiment à mon échelle. Même si Farang est mon projet et que je l’ai coécrit, j’ai voulu garder un côté artisanal et me dire : « OK, on enchaîne, on shoote immédiatement autre chose. ». Il faut savoir faire tourner sa propre boutique afin qu’elle reste vivante d’un projet à l’autre.

    Les films sont mouvants, c’est comme un magma qui ne demande qu’à exploser. Tant que la lave est encore là, tu continues d’avancer. Tant que le plaisir créatif est là, il ne faut pas le laisser s’échapper et j’ai la chance de pouvoir m’exprimer à travers des projets un peu fous, du moins hors système, hors marché. On parle toujours du « marché » et je déteste ce mot. J’aime faire des propositions atypiques et montrer qu’il y a un espace aujourd’hui pour que des choses différentes puissent exister.

    Il y a dix ans, c’était impossible, je n’arrivais pas à trouver ma place, mais aujourd’hui, les geeks ont gagné. On arrive à trouver notre place et on nous demande ! C’est vraiment l’avènement des plateformes qui a provoqué cet appétit pour le genre et la différence.

    Un projet a-t-il fait l’effet d’un déclic dans votre carrière récente ?

    Oui, Papicha. Je l’ai produit indépendamment avec ma boîte et mes associés Grégoire Gensollen et Patrick André. Ça racontait la jeunesse de ma femme, Mounia Meddour, et je voyais le potentiel de cette histoire en tant que film d’auteur, domaine qui est à l’opposé de mon style habituel. Je regarde autant de cinéma de genre que de cinéma dit « classique », donc je me disais qu’il y avait un vrai film à faire là-dessus.

    On a commencé à s’en parler vers 2012. En 2014, Mounia a bouclé une première version du script. Pendant le tournage de Budapest, je lui ai proposé d’aller en Algérie pour faire des repérages et essayer de démarrer la production. On est partis en mode guérilla, tous les deux, on a trouvé des partenaires et le film s’est fait petit à petit. On ne s’attendait pas du tout à la carrière qu’il a pu avoir ensuite. Ç’a été fait avec les tripes, le cœur.

    Quand on a terminé Papicha, il n’a pas été acheté tout de suite. On l’a montré au comité de sélection du Festival de Cannes qui nous a invités dans la catégorie Un certain regard. Ça a donné une vraie carrière au long-métrage, on a ensuite gagné des prix au Festival d’Angoulême et plusieurs Césars en 2020…

    Il a fait 300.000 entrées alors que c’était un tout petit film « hors marché » que personne n’attendait. Ça a complètement rebattu les cartes.

    En parallèle, j’ai fait Gangs of London. Entre Papicha et Gangs…, adoubé par Gareth Evans, j’ai tout de suite vu que je pouvais monter plus facilement mes projets. C’est fou, je l’ai senti du jour au lendemain ! Juste après les César, tout le monde nous appelait car mes projets circulaient déjà depuis un moment dans différentes sociétés. C’est comme si j’étais sous la pile et que soudainement, on m’avait fait passer en haut de cette pile.

    C’est là que Farang est né : le scénario était là depuis un moment, mais tout à coup, on a trouvé le financement. Même chose pour d’autres projets qui arrivent derrière, qui font la queue : mon film de requins, un autre en Afrique du Sud que j’aimerais tourner l’année prochaine et un gros film d’action que je suis en train d’écrire avec Jude Poyer et l’une des scénaristes de Gangs of London.

    Ce qui est génial, c’est que je n’ai plus à me dire que je vais devoir travailler dans une économie ultra réduite. J’ai fait mes premiers films dans avec peu d’argent, mais j’avais des ambitions inadaptées au budget dont je disposais. Souvent, ça pouvait donc être un peu bancal, maladroit, parce qu’il n’y avait jamais suffisamment de moyens et qu’on y allait quand même.

    Aujourd’hui, je peux dire aux producteurs : « Il faut ces moyens-là pour faire ce film de cette manière-là », et j’obtiens généralement ce dont j’ai besoin. Ça donne une liberté et un confort que j’aimerais vraiment conserver, tout en espérant que cela crée un appel d’air pour d’autres réalisateurs.

    Farang est une sorte de prototype dans l’industrie aujourd’hui. On pourrait lui reprocher de ressembler par certains aspects aux productions EuropaCorp d’il y a vingt ans, mais ce genre de films peut non seulement ramener du public dans les salles, mais aussi faire revenir le cinéma de genre sur grand écran pas seulement par le biais de l’horreur, mais aussi du thriller. La France a été un grand pays de thrillers, même si ça s’est étiolé au fil du temps.

    Le film d’action que je prépare avec Jude est très proche de Classe tous risques de Claude Sautet. Il faut à mon avis renouer avec les racines du polar français et se réapproprier ses codes.


    – Xavier Gens (au milieu avec le chapeau), Nassim Lyes (t-shirt blanc) et Jude Poyer (accroupi avec un masque au niveau du cou) posent avec l’équipe des cascadeurs thaïlandais.

    Vous jouez clairement sur le côté français avec le prologue extrêmement social de Farang. Même le combat d’ouverture se montre très réaliste, du moins jusqu’à la chute. Ce n’est pas le même type de chorégraphie que dans le climax dans l’ascenseur.

    Il n’y a qu’un plan annonciateur de ce qui va se passer après et le film bascule à partir de là. Avec Jude Poyer, nous voulions concevoir un combat très réaliste en ne nous permettant qu’un seul gimmick de mise en scène, lorsque les deux personnages tombent ensemble. Ça rappelle les codes du cinéma de Hong Kong.

    Oui, il y a un côté Time and Tide.

    Exactement. Il fallait infuser cet aspect à ce moment précis. La scène se devait d’être brutale et je voulais vraiment garder la chute jusqu’au bout. Cette mort a un impact sur tout le reste de l’histoire, donc il faut qu’on s’en souvienne.

    Il y a tout un cheminement stylistique au fil de Farang.

    J’avais envie de faire un film qui mute au fur et à mesure du récit. L’une des références dont on a parlé avec Jude, c’est Adaptation de Spike Jonze, dont le le style évolue constamment. Je voulais exactement ça : partir d’un film français et basculer doucement vers un registre plus coréen ou indonésien, car je m’inspire ouvertement du travail de Gareth et de sa méthode pour chorégraphier les combats.

    Farang monte aussi crescendo dans la brutalité : il y a des moments qui annoncent la violence, puis des points de basculement.

    La mutation va jusqu’au bout, car on finit par un face-à-face entre Nassim Lyes et Olivier Gourmet, un acteur très typé cinéma d’auteur français, même s’il est de nationalité belge.

    Comme on peut le lire dans le livre qui lui est consacré chez TASCHEN, Kubrick disait que lorsqu’il castait des acteurs dans ses films, il se servait de leur bagage cinématographique. Quand on a choisi Olivier Gourmet, pour moi, il y avait tout le bagage des frères Dardenne qui nous faisait entrer dans une réalité sociale crédible. Dans le cinéma de genre français, pendant longtemps, il y a souvent eu des problèmes de jeu.

    Parce qu’on essayait justement de faire du genre.

    C’est ça. Je me suis affranchi de ces considérations grâce à mes expériences sur Gangs of London et Papicha. Ce dernier, était vraiment un film très français où Mounia, caméra à l’épaule, laissait vivre les situations. Moi, je me prépare tout le temps à fond, mais je l’ai vue se laisser choper par ce qui se passait sur le moment. Elle était tellement décomplexée par rapport à la mise en scène que j’ai décidé de m’inspirer de sa méthode afin de chercher une authenticité, un réalisme dans mes séquences de mise en place en France et en Thaïlande. Ça a aidé à ancrer le genre dans une réalité et le film a pu basculer progressivement par son style sans devenir poussif au niveau des dialogues.

    La manière dont j’ai dirigé Nassim rejoint cette idée : je l’ai poussé vers un jeu « auteurisant » – je ne veux surtout pas que ce soit pris comme un gros mot. Il fallait qu’il soit le plus authentique possible et qu’il s’éloigne au maximum des personnages de comédie qu’il avait incarnés avant. Je lui ai dit de revoir Al Pacino dans L’Impasse de Brian De Palma, qui est dans l’épure en permanence.


    – Farang se paie quelques effets gore dignes de Lucio Fulci !

    Et Pacino n’est généralement pas connu pour donner dans l’épure…

    Sa prestation est d’autant plus belle. Scarface et L’Impasse, c’est le yin et le yang. Ce sont deux films siamois, qui se répondent. Je voulais amener Nassim vers cette typologie de personnage spécifique. Je lui demandais souvent de reprendre avec une voix plus basse, en s’inspirant d’Eastwood. Pas besoin de monter en volume : less is more.

    Quand tu regardes d’autres films français qui ont traité de sujets un peu similaires, tout de suite, on a des grosses cailleras avec des tatouages partout, qui font du rap… On ne peut plus faire ça. Ce genre de facilités propulse le récit dans la caricature, ce qui est, j’insiste, le problème central de notre cinéma de genre.

    Quand on essaie d’imiter quelque chose, on le caricature, en bien ou en mal. Parfois ça donne des merveilles comme les deux premiers OSS 117, mais la plupart du temps, on se plante.

    Il y a eu des jeux d’acteur très stylisés dans l’Histoire du cinéma de genre français, par exemple celui de Jean Marais dans La Belle et la Bête de Cocteau. C’était bien sûr intégré à un univers visuel et une photographie tout aussi stylisés, mais ça fonctionnait. Il y a encore aujourd’hui aux États-Unis des performances ouvertement expressionnistes, par exemple Nicolas Cage dans la plupart de ses rôles. Mais en France, la stylisation du jeu semble être devenue impossible.

    On est très pragmatiques dans le domaine du jeu. Si l’acteur n’y croit pas, nous non plus. Beaucoup de comédiens peuvent regarder le genre de haut. Il faut donc réussir à les amener dans un ancrage beaucoup plus authentique, donc plus auteurisant. Sur Farang, on a toujours été sur un ton premier degré, on a gardé notre identité française ; on n’essayait pas de singer les Américains, ce qui sur Frontière(s) a été mon plus gros défaut.

    Mon but sur Farang était surtout de jouer avec la figure du thriller et de l’emmener ailleurs grâce à mon propre bagage et à mon envie de rebooter mon cinéma. Je me suis un peu cherché au fil des années, j’ai exploré des genres, mais je n’ai pas réussi à signer le film où je m’affirmais vraiment. Je pense que Farang est un nouveau premier long : je me réaffirme sur un univers, sur une manière de filmer, sur une façon de trouver mon ton.

    Je me souviens d’une interview récente entre Iñárritu et Scorsese : le premier a demandé au second à quel moment il avait réussi à définir son univers. Scorsese a répondu qu’à un moment, on le sent parce qu’on est le plus sincère possible et qu’on ne rougit plus en montrant le film à d’autres.

    Quand Iñárritu a fait Birdman, il a appelé Scorsese et lui a dit : « Ça y est, je sais qui je suis. ». Pour lui, Babel ou Amour chiennes appartenaient plus au scénariste qu’à lui. C’est fou, quand même.

    Scorsese vient de déclarer qu’il a enfin compris ce qu’il doit faire avec son cinéma, mais qu’à 80 ans, il est presque trop tard.

    La vérité de notre travail est là : on doit se chercher et comprendre ce qu’on veut raconter. Je suis un jeune metteur en scène, j’ai démarré à 30 ans et forcément, je me cherchais. On tâtonne, on se trompe, parfois on essaie des trucs qui marchent, d’autres fois, ça ne marche pas du tout, mais on continue d’avancer. Farang est vraiment l’accomplissement d’un apprentissage d’une dizaine d’années.

    Un apprentissage demande énormément d’humilité. Nous avons beaucoup échangé au fil des ans, et nous avons toujours eu des discussions très ouvertes concernant vos films, que nous avons parfois aimés, parfois non. Mais il y a toujours eu des débats très sains et des argumentations. On dirait que vous avancez sur le long terme, sans avoir peur d’analyser vos réussites et vos erreurs.

    C’est hyper important. Indispensable. Je suis complètement d’accord. Honnêtement, j’espère arriver à la perfection un jour. C’est un peu comme les Compagnons qui ont besoin d’effectuer 10.000 heures de travail avant de pouvoir créer un chef-d’œuvre.

    Un jour, j’espère pouvoir faire un chef-d’œuvre. Un. Juste un, à la fin de ma carrière. J’en serais ravi.

    Votre projet sur Lapérouse, peut-être ?

    Pour moi, c’est le meilleur candidat.

    Voilà sans doute pourquoi il ne figure pas dans vos projets imminents, un peu comme si vous reculiez l’échéance pour être sûr d’être totalement prêt.

    Il faut savoir attendre pour avoir atteint une maturité suffisante. À 48 ans, j’apprends encore. Quand je vais sur le plateau de Havoc de Gareth Evans en tant que réalisateur de seconde équipe, c’est pour apprendre. Je sais que j’ai plein de choses à découvrir, que je ne connais pas tout.

    Ma rencontre avec Gareth et Jude a été absolument fondatrice. Après avoir travaillé avec eux, je ne peux plus bosser autrement. J’ai vu ce qu’il fallait faire, j’ai mis les mains dans le cambouis et ça a scellé une amitié complètement dingue. On entretient une passion commune pour ce genre de cinéma, on cherche l’excellence, donc on veut apprendre en permanence.

    Pendant le confinement, on regardait les films d’Imamura pour saisir la substantifique moelle de la narration et de l’émotion et ajouter ce qu’on aime dedans, c’est-à-dire de l’action hard boiled ! (rires)


    – La séquence de l’ascenseur, donnant l’illusion d’un plan continu, devrait rester dans les annales du cinéma d’action.

    La séquence de l’ascenseur est assez hallucinante.

    Avec Jude, on voulait créer une nouvelle référence. On a discuté de tous les « beats » narratifs et de l’énergie que la scène devait contenir. La séquence du couloir est une préparation et l’ascenseur doit nous faire mal.

    La préparation est même encore un peu plus longue : il y a la scène du quai juste avant. On peut facilement visualiser la direction que prend le climax, d’abord en avant, puis sur le côté avec le couloir et enfin vers le haut avant la rencontre avec le « boss final ». Cela donne une dynamique intéressante au récit.

    Et avec la rencontre avec Gourmet, je voulais glisser un clin d’œil à Clarence Boddicker dans RoboCop !

    Sage décision. Comme évoqué en début d’interview, vous êtes en train de tourner Sharks alors que nous parlons de Farang. Vous ne vous sentez pas un peu schizophrène ?

    Non, c’est même très clair dans mon esprit. Faire la tournée d’un film, c’est un moment un peu marrant, ça reste un plaisir. C’est juste une situation un peu inhabituelle, en particulier en France. Je ne me comparerai jamais au talent d’un Spielberg, mais c’est un vrai modèle, que ce soit en termes d’organisation professionnelle ou dans son style de narration. Il a littéralement le cinéma dans le sang, ça paraît inné chez lui.

    J’en parlais récemment avec Michel Hazanavicius. Nous, on va galérer un peu plus que lui avant d’atteindre la pureté d’une séquence, avant de réussir à trouver l’angle de prise de vue nécessaire. C’est une quête perpétuelle. Redémarrer un film aussi rapidement après en avoir achevé un autre, c’est une chance immense à ce niveau.

    On peut continuer d’explorer ce qu’il est possible de faire d’un point de vue narratif avec une caméra. Sharks, en plus, est complètement différent de Farang : on est vraiment sur tout autre chose. Et sans que je le veuille vraiment, le film a une teinte Amblin ! On a déjà une heure vingt de montage et on reconnaît cette influence, alors qu’elle n’était pas prévue…

    Propos recueillis par Alexandre Poncet

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    Son nouveau film, Mad Fate, commence à peine la tournée des festivals internationaux que Soi Cheang planche déjà sur la postproduction du suivant, le prometteur Kowloon Walled City. C’est donc dans une certaine ébullition qu’il prend le temps de revenir sur sa carrière. Sa webcam le capte comme l’un de ses personnages : en contre-plongée, sous des néons semi-aveuglants, entre deux clopes et deux gorgées de café.

    Vous avez débuté votre carrière de réalisateur à une époque de transition après la rétrocession. Dans quelles conditions avez-vous découvert l’industrie cinématographique hongkongaise ?

    C’était clairement la fin d’un âge d’or. Il n’y avait pas de grosses productions, les films étaient en grande partie des versions revisitées de succès passés. Il y avait néanmoins des tentatives de renouveau dans le domaine du thriller, un genre qui avait le double avantage de ne pas coûter trop cher et d’avoir un public enthousiaste. J’ai d’abord tourné des films relevant plutôt du cinéma d’auteur, sans avoir de plan de carrière en tête. Après, j’ai grandi avec le cinéma de Hong Kong, les ressorts de son cinéma policier me sont familiers, c’est un genre qui me plaît. J’ai fini par me dire que j’en maîtriserais bien les codes.

    Au même moment, Johnnie To crée sa société de production, la Milkyway Image, et remue le polar hongkongais dans tous les sens. Que pensez vous de son apport en la matière, et comment s’est déroulée votre collaboration sur Accident et Motorway ?

    Johnnie To a abordé le genre sous une grande variété d’angles différents, de façon unique, souvent à contresens des modes de l’époque. Il ne pense pas qu’en termes commerciaux, il se sert du genre pour exprimer ses idées au public. J’ai eu beaucoup de chance de travailler avec lui, il a eu un grand impact sur ma Carrière.

    Sous l’aile de Johnnie To, vous assumez un élément crucial de votre filmographie, qui apparaît plus nettement à partir de Love Battlefield : cette gravité presque mélodramatique, une forme de romantisme de la fatalité.

    Un film reflète nécessairement l’état d’esprit de son auteur ou de son metteur en scène. Il m’est arrivé d’être autant perdu que les personnages, cela dépend des périodes. Pour ce qui est de la fatalité, je ne sais pas si je m’y reconnais, cela voudrait dire qu’il faudrait tout le temps recommencer ce qu’on fait de la même façon, sans alternative. Je préfère m’égarer en cherchant mon chemin que de reproduire le même trajet. C’est comme ça qu’Accident et Motorway ont été écrits et filmés.

    La première fois que votre nom est apparu sur les radars français, c’était en 2006 avec Dog Bite Dog. Comment expliquez-vous le retentissement de ce film en particulier ?

    Mon film précédent, Home Sweet Home, n’a pas marché. J’avais le poids de l’échec sur les épaules, mais Ça ne s’est pas traduit par du désespoir, plutôt par une forme de colère. Je me suis retrouvé sur ce projet coproduit avec le Japon, donc avec une pression commerciale moindre. Pendant toute la phase de préparation, je bouillonnais, et j’ai voulu conserver cet état d’esprit pour l’injecter dans le film. C’est ce qui a fait, je pense, qu’il ne ressemble pas à mes longs-métrages précédents.

    Dans les années 2010, vous avez tourné trois films Monkey King, des blockbusters coproduits entre la Chine et Hong Kong inspirés de La Pérégrination vers l’Ouest. Qu’avez-vous retiré de ces expériences ?

    Je n’ai pas vraiment participé au développement ou à l’aspect créatif de ces films. Ils ont remporté un grand succès commercial, ce qui m’a aidé pour la suite de ma carrière.


    – Lau Cham (Lam Ka-Tung) harcèle inlassablement Wong To, responsable d’un accident qui à brisé sa famille

    Pendant et après ces trois réalisations, vous tournez SPL 2 et Limbo, les œuvres les plus violentes et intenses psychologiquement de votre filmographie. Ce durcissement est-il lui aussi une réaction à quelque chose ?

    Oui, il y a un lien de cause à effet. Il y a besoin d’un certain équilibre dans la production d’un film, et même si les Monkey King m’ont beaucoup apporté professionnellement, je me reconnais bien plus dans SPL 2 et Limbo. Après ces trois blockbusters produits sur le continent, j’avais très envie de retravailler à Hong Kong sur un projet qui me parlerait à un niveau personnel.

    Limbo va encore plus loin que SPL 2 dans la noirceur, dans le désespoir. À tel point qu’on peut se demander s’il vous sera possible de repousser d’autres limites.

    (rires) Ce n’est pas un objectif en soi. Ce ton collait à l’histoire du film et je trouve qu’il y a quand même une touche d’espoir ; le but n’était pas d’enfoncer le spectateur dans les ténèbres totales. Pour ce film comme pour les autres et les suivants, encore une fois, tout dépend de mon état d’esprit.

    Limbo réussit également à surpasser Diamond Hill, Home Sweet Home ou Dog Bite Dog dans la représentation d’un univers urbain marginal, en déliquescence.

    Tous ces films documentent l’évolution de Hong Kong à travers mon regard de réalisateur. Dans les années 1980, les spectateurs retiraient de la ville l’image d’une cité dynamique, prospère, dont les habitants avaient une vie assez riche. Mais ce n’était qu’une façade ; la réalité était tout autre. Je suis sensible à la misère qu’on peut voir dans les rues, au désespoir, et il me semblait important d’apporter ce contrepoint, de montrer ce qui est généralement caché.

    Votre démarche rappelle certains polars hongkongais du début des années 1980, filmés à | l’arrache dans la citadelle de Kowloon, comme Long Arm of the Law de Johnny Mak.

    J’adore Long Arm of the Law, mais il adopte un point de vue beaucoup plus réaliste que Limbo, et son histoire de criminels continentaux clandestins reflète un authentique phénomène de cette période là. Limbo prend plus de libertés créatives par rapport à son contexte.


    – Will Ren (Mason Lee) un jeune flic chargé de retrouver un insaisissable tueur en série.

    La photographie de Cheng Siu-Keung est magnifique, et le noir et blanc lui donne une force supplémentaire. Quand et comment avez-vous fait ce choix ?

    Le tournage a pris un certain temps, et au moment de la postproduction, même si je n’avais pas de souci avec les couleurs ou la lumière, il me restait une insatisfaction, un manque. J’ai testé le passage au noir et blanc, ça amenait une fusion entre les personnages et les décors sans amoindrir la puissance du jeu des acteurs. Ce mélange est cohérent avec ce que je cherchais à exprimer. Je suis infiniment reconnaissant à la production et à la distribution d’avoir accepté de sortir cette version en noir et blanc, je trouve que le film y gagne vraiment.

    Comment avez-vous abordé la question de la violence infligée au personnage de Wong To, à l’écriture puis à la mise en scène ?

    Je me suis attaché à proposer un point de vue original sur ce personnage. Wong To a commis des erreurs, des crimes dont elle se sent coupable au point de vivre un véritable enfer. Elle cherche le pardon, mais le seul fait de le demander la plonge dans une autre sorte d’enfer, elle doit se confronter à ses actions sans savoir si elle obtiendra gain de cause auprès de celui à qui elle a fait du mal. Il fallait que je pousse le personnage au point limite de sa résistance ; je comprends que ça puisse susciter le débat.

    La sortie de Limbo en salles françaises est une excellente nouvelle, à une période où les productions de Hong Kong arrivent rarement jusqu’à nos frontières. Il y a en outre, chez de nombreux observateurs, une peur de voir cette industrie disparaître, avec de moins en moins de films produits et de plus en plus de contraintes de production. Ce constat vous paraît-il fondé ou trop pessimiste ?

    Le passé est le passé, on ne peut pas revenir en arrière. Les années 1970, 1980 et 1990 ont été des décennies exceptionnelles, surtout pour un territoire aussi restreint. C’est incroyable qu’un tel nombre de films ait pu être produit, et quoi qu’il arrive, ces œuvres vont rester. La question de l’avenir, toute l’industrie l’a en tête depuis quatre ou cinq ans. Une chose est sûre, il faut continuer, reprendre le flambeau et faire des films, ne pas se reposer sur des souvenirs et trouver de nouveaux paradigmes.

    – Propos recueillis par : François Cau.
    – Merci à Mathias Chouvier, Jean-François Gaye et Qin Lau.
    – Traduction : Liu Qing.
    – Mad Movies #373

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    Remarqué avec le film d’horreur lovecraftien The Hole in the Ground, acheté en 2018 par A24, l’Irlandais Lee Cronin est contacté par Sam Raimi alors qu’il présente son ouvrage à Sundance. Le croyant un temps trop doux pour prendre le relai de Fede Alvarez, Robert Tapert accepte finalement de suivre l’instinct de son associé et confie à Cronin les rênes du cinquième long-métrage de la saga Evil Dead…

    Evil Dead Rise comporte le plus beau main title design qu’ont ait vu depuis bien longtemps. Tout est parfait, avec ce logo et ce titre, et on parle bien trop rarement de cet art. Pouvez-vous nous parler de votre collaboration avec Annie Atkins ?

    Je suis content que vous m’en parliez. Quand on fait un film, tous les détails comptent, de la première image à la fin du générique de clôture. Tout contribue à l’expérience. J’essaie d’être assez précis quand j’écris un scénario, donc l’émergence du titre hors de l’eau était déjà décrite ainsi dès la première version. Ce n’est pas quelque chose que j’ai décidé en postproduction. Dans le script, on peut lire que des lettres rouges gigantesques s’élèvent dans le ciel et donnent une idée de ce que le film sera. On a longtemps eu une version temporaire de ce titre au montage.

    Annie Atkins vit tout comme moi à Dublin et j’avais déjà travaillé avec elle sur mon film The Hole in the Ground. Je me suis dit qu’elle serait parfaite pour ce job. On en a beaucoup parlé au préalable, puis on a bloqué un style et un look. Le timing était très important, de même que l’espacement des lettres. En plus, il fallait que le titre interagisse avec l’environnement : on voit en effet le reflet des lettres dans la surface du lac et elles bloquent le soleil, ce qui change légèrement la couleur du plan. Annie a un œil génial ; elle a écouté mes idées et m’a guidé dans le choix des polices qui serviraient le mieux cette introduction.

    La composition est entièrement basée sur le concept du titre, on n’a pas cadré au hasard et décidé d’ajouter les lettres aléatoirement. Je voulais que la fin du prologue soit audacieuse, opératique et culottée à plusieurs niveaux. Il fallait taper métaphoriquement du poing sur la table et dire au public : « Vous allez vivre une sacrée expérience en regardant ce film. ». C’est d’ailleurs l’objectif de l’introduction dans son ensemble : elle est là comme une sorte de teaser et donne un avant-goût du parcours de montagnes russes qui va suivre. L’idée est de clouer le spectateur sur son siège avant de vraiment débuter l’intrigue.

    Vous répétez rarement deux fois le même plan dans Evil Dead Rise. Certes, l’histoire est globalement contenue dans un immeuble, un couloir et un appartement, mais vous nous guidez à travers le récit en renouvelant constamment votre approche visuelle.

    C’est ce que j’appelle le « rafraîchissement visuel ». Ça sonne un peu comme un cliché, mais chaque plan raconte un nouveau bout d’histoire et ajoute un peu de dynamisme au récit. J’ai compris très tôt que ce film allait avoir besoin d’énergie. C’était primordial pour créer une « poussée » proche du rollercoaster. Quand on analyse une idée, on essaie de l’appréhender en un tableau gigantesque, composé de plein de petites vignettes. C’est comme un montage photographique. On se demande où on va mettre la caméra à tel ou tel moment, et plus on avance dans la préparation, plus on peut préciser les détails. Donc, ce rafraîchissement était important.

    Je sais qu’il y a des réalités pragmatiques dans la création d’un film et on est tous amenés à faire du coverage (captation d’une même scène via de multiples angles afin de s’assurer d’avoir tout le matériel requis au montage – NDR). Mais quand j’arrive sur un plateau, au milieu de mon équipe d’artistes et de techniciens, je me dis aussitôt que le coverage est la mort du cinéma. C’est une facilité, une sécurité. Autant que possible, j’essaie d’éviter d’y avoir recours.

    Mon directeur de la photographie Dave Garbett en a déjà parlé en interview et il est d’accord avec moi. Notre collaboration est basée sur ce principe : chaque image est l’occasion d’apporter un élément nouveau. Voilà d’ailleurs pourquoi nous avons beaucoup employé l’objectif à foyer partagé sur Evil Dead Rise. Pour certains plans, nous avions besoin de profiter d’un gros plan et d’une réaction dans le même cadre.

    Couper au montage aurait diminué l’énergie. Je voulais condenser le maximum de détails à l’écran, car cela donne lieu à une expérience plus immersive. Le spectateur a vraiment l’impression de faire partie de ce monde. Si, dans la vie réelle, on se retrouvait dans cette histoire, à vivre ce que vivent les personnages, ça ressemblerait à une sorte de rêve fou et fiévreux. On aurait l’impression d’être drogué. En juxtaposant toutes ces couleurs, toute cette énergie, tous ces sons et toutes ces images, on pouvait s’approcher de cette sensation de cauchemar éveillé.

    Vos décors sont incroyablement chargés. Même avant l’intervention de l’élément fantastique, cela donne à l’image une atmosphère claustrophobique. La lumière est faible et l’appartement est rempli de meubles, d’accessoires et de bibelots, ce qui contraste avec le vide de l’immeuble, qui va bientôt être démoli.

    On a parlé de tout ça en préproduction. Faire un film Evil Dead, c’est aspirer à créer le meilleur spectacle horrifique possible. Mais avant de se lancer dans le parcours de train fantôme, il faut trouver des motivations dans le script et comprendre pourquoi on prendra telle ou telle décision.

    Dans les précédents Evil Dead, personne ne vivait dans le chalet et cela donnait à l’histoire un aspect exotique et relativement crédible. Mais dans Evil Dead Rise, on parle d’une famille contemporaine qui vit dans le même endroit depuis dix, voire quinze ans. Il y a donc des couches de vie qui se sont superposées au fil du temps.

    Il y a même des détails dans le décor sur lesquels on n’a jamais vraiment eu l’occasion d’insister à l’écran. Vers le début du film, quand Ellie et Beth ont une conversation sans les enfants, Beth est sur le sofa et Ellie est debout dans l’encadrement de la porte. En regardant attentivement, vous verrez la taille des enfants, avec les années correspondantes.

    La relation entre les deux sœurs peut être lue de différentes façons. Ellie accuse sans cesse Beth de n’être qu’une groupie, car elle travaille dans le monde du spectacle et dans le milieu du rock. Ce qui la met systématiquement en rage. Est-ce une manière pour vous d’anticiper d’inévitables accusations de fanboyisme alors que vous vous retrouvez à la tête d’un projet aussi culte qu’Evil Dead ?

    J’adore cette interprétation ! Honnêtement, je n’y avais pas pensé en ces termes. C’était surtout pour moi un élément dramatique : Ellie est fière de sa sœur, mais elle est également jalouse de sa liberté. C’est pour ça qu’elle essaie tout le temps de la diminuer, même inconsciemment.

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    – Lily Sullivan, l’interprète de l’héroïne Beth qui va devoir protéger ses neveux contre leur mère possédée.

    Vous avez tourné en anamorphique, ce qui est plutôt intéressant car l’immeuble est vertical, et compte tenu du format, vos plans d’établissement deviennent forcément baroques. Vous exploitez toutefois la verticalité du cadre avec la scène du couloir, et vous resserrez le ratio lorsqu’on voit tout le massacre à travers le judas.

    Dans mon précédent film, j’avais tourné une scène entière en plan fixe et toute la violence intervenait hors champ. Ça peut sembler facile, mais ça confère à ce moment une certaine puissance. The Hole in the Ground disposait d’un budget bien plus faible, donc je ne pouvais pas aller très loin dans mes ambitions, mais cette idée de mise en scène me plaisait vraiment.

    Avec Evil Dead Rise, j’ai essayé de trouver une occasion de jouer sur ce point de vue restreint, un peu comme une signature. Quand on ne voit pas tout, les autres sens s’éveillent. Dans Evil Dead Rise, c’est un peu différent : il y a des moments qu’on cache au spectateur, mais aussi des passages viscéraux, comme celui où l’enfant est projeté contre le mur avec un bras en moins.

    Le but, c’est que le spectateur se dise que l’action dépasse largement ce qu’il voit dans les limites du cadre. Le judas devient presque un personnage lui-même au fil de l’intrigue. Je n’avais pas de cave, donc il me fallait une ouverture vers un espace parallèle à celui de l’appartement. Ce qui transformait ce dernier en une sorte de sanctuaire et s’inscrivait parfaitement dans l’esprit de la saga Evil Dead.

    L’emploi de l’anamorphique est aussi dû à des limitations. Je ne pouvais pas m’amuser avec une forêt entière, mais je voulais tout de même créer un vrai film de cinéma, avec une certaine ampleur. C’est marrant : parfois mes neveux me demandent de prendre des photos avec mon smartphone, et je le tiens instinctivement en position horizontale. Ça les rend dingues, car ils veulent tout en vertical pour pouvoir diffuser ça sur Instagram. Je n’arrive pas à penser de la sorte.

    Quand je vois quelqu’un filmer en vertical, j’ai envie de lui arracher son smartphone des mains…

    (rires) Des touristes m’ont arrêté dans la rue il y a quelques jours pour me demander de prendre une photo d’eux devant un mur fleuri. J’ai tenu le smartphone à l’horizontale et ils ont commencé à me dire : « Non non, en vertical. » « Eh, je vous fais une faveur, laissez-moi prendre la photo. »

    Enfin bref, je voulais donner à Evil Dead Rise une certaine échelle, même en intérieur. Nos yeux ont un champ de vision très large. Quand je me balade dans mon appartement, je peux presque voir tous les murs sans tourner la tête. Je voulais capturer ça tout en faisant ressentir l’enfermement des personnages. Il est facile d’installer une focale anamorphique sur une caméra, mais il faut qu’il y ait un raisonnement derrière.

    Dès les logos d’ouverture, vous dites aux spectateurs qu’ils vont devoir faire attention à ce qui se déroule sur les côtés, ou derrière : le bourdonnement d’une mouche passe à travers toutes les enceintes avant de disparaître.

    C’était une sorte de message, mais aussi une opportunité d’ancrer le film dans la continuité des précédents. Bruce Campbell m’a donné un disque dur avec des numérisations des enregistrements sonores originaux. J’ai intégré plusieurs de ces effets dans mon histoire, de différentes façons. La mouche vient de là.

    Le film regorge d’effets gore extrêmes qui impliquent, une fois n’est pas coutume, une enfant et des adolescents. En coulisse, comment avez-vous géré cela sur le plan psychologique, notamment avec la petite Nell Fisher ?

    Les parents sont essentiels dans le processus, ils doivent comprendre les nécessités et les réalités du tournage. La communication avec les enfants est elle aussi très importante : il faut leur parler des effets spéciaux le plus tôt possible. Nell Fisher, qui joue Kassie, avait 9 ans pendant le tournage, mais elle était incroyablement intelligente.

    Dans The Hole in the Ground et dans plusieurs de mes courts-métrages, j’avais déjà travaillé avec des enfants. Ce que j’ai appris, c’est qu’on doit les intégrer à l’équipe et les impliquer dans le développement. Quand les gars des effets spéciaux préparent des gags avec beaucoup de sang, il faut inviter les gosses à appuyer sur un bouton. Ça devient une fête de Halloween, ils s’amusent et ils veulent être là quand quelque chose d’horrible va être filmé. Ils voient le côté rigolo sur le plateau, et pas forcément le plan final sur le combo.

    Votre hommage à Shining est excellent.

    Il y a des œuvres qui vous marquent quand vous êtes jeune et auxquelles vous ne pouvez plus échapper par la suite. La filmographie de Sam en fait partie ; il figure sur mon mont Rushmore cinéphilique. Et bien sûr, il y a Shining. Je savais que j’allais avoir besoin d’un ascenseur dans l’immeuble, donc je devais absolument le remplir de sang. Il aurait presque été impoli de ne pas le faire. Dans Shining, on voit ce qui arrive après, mais dans Evil Dead Rise, on voit ce qui se déroule dedans !

    – Propos recueillis par Alexandre Poncet.
    – Merci à Étienne Lerbret.
    – Mad Movies #370

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    Brendon Durey est le directeur du studio néo-zélandais Filmfx, collaborateur privilégié de Rob Tapert et Sam Raimi depuis les séries Hercule et Xena au milieu des années 1990. Déjà présent en coulisses de Ash vs Evil Dead, Durey a volontiers repris du service sur Evil Dead Rise…

    Quel est exactement votre rôle en tant que superviseur des effets spéciaux ?

    Le département des effets spéciaux – ou des effets mécaniques comme on le nomme parfois – s’occupe de tout ce qui ne concerne pas les monstres en latex ou les trucages numériques. Notre boulot principal concerne la météo et les atmosphères : nous créons la pluie, le vent, la neige ou le brouillard. Nous nous occupons aussi des flammes, des effets pyrotechniques et des trucages physiques impliquant des mouvements hydrauliques, pneumatiques ou des pompes diverses. Sur des films d’horreur, on doit par exemple pomper du sang un peu partout.

    Dans la plupart des pays, le département des maquillages va souvent créer les saignements sur les personnages, mais en Nouvelle-Zélande cette mission nous revient presque systématiquement. Nous travaillons donc directement avec les maquilleurs et installons des systèmes dans les prothèses. Je ne veux surtout pas prétendre que nous concevons les maquillages : ce domaine ne nous concerne pas du tout. C’est un art très spécifique, et je ne sais absolument pas faire ça.

    Vous devez travailler très étroitement avec les autres départements, car tout est lié…

    Absolument. Le production designer d’Evil Dead Rise, Nick Bassett, a été incroyable, soit dit en passant. La première fois que j’ai bossé avec lui, c’était sur Hercule contre Arès en 1998. Nous sommes restés amis et nous avons souvent collaboré depuis, en montant les échelons chacun de notre côté.

    Depuis une douzaine d’années, Nick est le production designer attitré de Rob Tapert en Nouvelle-Zélande et leur méthodologie est bien rodée. Quand on connaît les gens depuis plusieurs décennies, les choses avancent plus vite et plus efficacement.

    Pouvez-vous nous parler de votre travail en préproduction d’Evil Dead Rise ?

    Durant ma première réunion avec Lee, après avoir lu le scénario, je lui ai expliqué ma méthodologie pour le sang et le vomi : si un personnage donne un coup de couteau à un autre et qu’une giclée de sang lui arrive au visage, il ne faut pas attendre le jour du tournage pour savoir quel look on veut obtenir.

    Nous faisons des tests sur des mannequins pour chaque effet d’éclaboussure afin de définir la pression et la quantité de sang exactes. Il est important d’établir tout ça avant le début des prises de vues, car nettoyer le plateau coûte très cher.

    Comment préparez-vous votre faux sang ?

    Nous avons développé notre propre recette au fil des années. Elle a été utilisée sur Ash vs Evil Dead et Spartacus. Sur Hercule et Xena, on avait déjà pu faire des expériences avec le faux sang. Nous avons aujourd’hui une méthode de fabrication très efficace. La base, c’est le sirop de maïs à haute teneur en fructose, une matière extrêmement sucrée. On le stocke dans des containers de 20 litres. On le fait bouillir, puis on ajoute de l’eau. La clé pour obtenir un faux sang crédible, c’est la viscosité.

    Nous avons mis au point des tests pour nous assurer que cette viscosité soit conforme à l’effet que nous recherchons. Nous fabriquons d’ailleurs différents types de faux sang, chacun avec une viscosité et une couleur particulières. L’une de nos mixtures présente un rouge très éclatant, qui correspond à du sang frais. Nous avons un mélange plus sombre pour du sang qui aurait été versé il y a longtemps.

    Certains réalisateurs demandent aussi une hémoglobine plus sombre. Une fois le faux sang standard cuisiné, nous en fournissons des échantillons aux départements des maquillages, des costumes et des décors. Car quand le sang vole dans les airs, c’est notre job. Mais quand il est renversé sur le sol, c’est le job des décorateurs ; quand il éclabousse un costume, c’est le job des costumiers ; quand il est appliqué sur le visage de quelqu’un, c’est celui des maquilleurs. Ce sont souvent ces derniers qui choisissent la couleur et la teinte finale du faux sang.

    Ce qui est clair, c’est que nous devons en produire des quantités astronomiques. Sur Evil Dead Rise, nous en avons préparé six tonnes et demie…

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    Vous avez battu un record, non ?

    Cette quantité était nouvelle pour nous. Engager une armée de techniciens pour préparer des portions de 20 litres aurait coûté une fortune, donc nous nous sommes tournés vers une usine alimentaire : nous avons pu utiliser leur équipe et leurs cuves industrielles pour créer la quantité dont nous avions besoin.

    Nous avons quand même dû acheter des IBC (intermediate bulk containers – NDR), c’est-à-dire des réservoirs industriels en plastique qui sont utilisés pour déplacer de grands volumes de liquides. Nous en avons rempli six et demi, nous les avons fait livrer au studio, et nous les avons stockés dans un container réfrigéré jusqu’au moment où nous avons dû les utiliser.

    Avez-vous travaillé sur la séquence où du sang coule du nez et des yeux d’une adolescente ?

    Oui, on s’est inspirés du clip When the Party’s Over de Billie Eilish, dans lequel une matière noire sort des yeux de l’artiste. Nous avons collé des petits tubes le long des tempes de Gabrielle Echols et nous les avons tirés jusqu’à la base des yeux et vers les narines. Puis les artistes des effets visuels ont effacé numériquement ces tubes.

    C’est extrêmement efficace, car on regarde le sang et non les tempes ou les joues. On est focalisé sur l’élément réel et non sur ce qui est faux.

    Oui, et ces artistes sont devenus très bons pour effacer ce genre de choses. À l’inverse, les interactions entre des liquides et la surface de la peau sont très difficiles à simuler à l’aide d’effets digitaux.

    Le vomi a-t-il été simulé de la même façon ?

    Oui, nous avons installé un coquetier en silicone à l’intérieur de la bouche de l’actrice et lui avons fixé un tube sur la joue jusqu’au milieu de la lèvre inférieure, en direction de la bouche. Nous avons pompé notre faux vomi dans sa bouche et celui-ci a rebondi à l’extérieur, donnant l’illusion d’un spray réaliste. C’était très inconfortable pour l’actrice, mais elle a pu s’entraîner à placer le coquetier d’une certaine façon afin de résister à la pression…

    C’était vraiment une guerrière : vous vous imaginez, vous, en nuisette et maquillée en monstre, en train de dégobiller des litres de faux vomi devant 40 personnes ?Je crois qu’elle a expulsé 50 litres dans cette scène, alors que l’estomac humain est limité à 7…

    Êtes-vous un fan de L’Exorciste ?

    Oui, je l’ai toujours été. Je comprends pourquoi vous me posez la question ! Ça faisait partie des références qu’on a étudiées pour Evil Dead Rise. Nous avons aussi revu Stand by Me et Monty Python, le sens de la vie.

    Comment a été tournée la séquence de la salle de bains, lorsqu’Ellie se retrouve au plafond ?

    C’est mon ami Stuart Thorp, le coordinateur des cascades, qui s’est chargé de cet effet. Avec son équipe, ils ont mis au point un système d’attaches spécifiquement pour cette séquence. Le département des décors a également construit une salle de bains inversée qui a été utilisée pour les plans les plus complexes. Ils ont donc filmé la tête en bas.

    – Propos recueillis par Alexandre Poncet.
    – Merci à Étienne Lerbret.
    – Mad Movies #370

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    attendons j’ai adoré “belle” de je sais pas qui et des ghibli en générale 🙂 Merci pour ces articles !

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    – Kim Hong-Sun lors du tournage de Project Wolf Hunting

    Kim Hong-Sun : Réalisateur & scénariste

    Si son film de possession Metamorphosis (2019)témoignait déjà de son envie de sortir du cadre du thriller où il avait fait ses armes, Projet Wolf Hunting propulse son réalisateur dans la sphère des auteurs sud-coréens transgressifs, pas nécessairement prophètes en leur pays, mais prisés des amateurs internationaux de sensations beaucoup trop fortes.

    Dans le cinéma sud-coréen, un pic avait été atteint dans la représentation de la violence avec J’ai rencontré le Diable de Kim Jee-woon. On peut se demander si Projet Wolf Hunting ne va pas encore plus loin…

    Pour le public coréen, J’ai rencontré le Diable a été un point de non-retour. C’était trop gore. L’horreur résonnait de façon émotionnelle et psychologique, l’histoire de vengeance était ancrée dans un sous texte social, avec en filigrane un regard sur la société coréenne. En ce qui concerne Projet Wolf Hunting, ce n’était pas mon intention. Je voulais plutôt qu’on le considère comme un film d’action réaliste, un genre que j’ai baptisé « neo-noir hyper reality ». L’histoire relève du fantasme et se concentre vraiment sur l’action, ce qui le distingue, je pense, du film de Kim Jee-woon.

    Vous avez déclaré en interview que la représentation de la violence, dans le cinéma sud-coréen, est presque taboue pour le public. C’est assez étonnant dans la mesure où il y a tout de même une violence sociale, psychologique et même politique dans beaucoup de films locaux qui tournent en festival et arrivent sur les écrans français. Diriez-vous que cette perception du cinéma coréen est fausse ou biaisée ?

    Dans le cinéma coréen, il y a une tendance à ne pas vouloir montrer la violence frontalement, c’est un élément acquis pour les producteurs, les réalisateurs, le public et la critique. Avant le Covid, on produisait en Corée du Sud environ 80 films par an, et pour la plupart, il s’agissait de comédies avec quelques films d’action. Le public voit majoritairement ces films-là. Les œuvres de Bong Joon-ho, Kim Jee-woon et Park Chan-wook sont une minorité, même si les publics étrangers voient essentiellement ces dernières. Qu’il s’agisse de cette violence que vous évoquez ou des scènes de sexe, il y a un vrai malaise de la part du public coréen quand il s’agit de les voir en salles. Mais pour ce qui relève du visionnage à la maison, les films diffusés sur les plateformes de streaming par exemple, il n’y a pas de problème ; ça marche mieux, en fait.

    Justement, Projet Wolf Hunting frappe par sa brutalité. À quel stade du projet avez-vous décidé d’aller dans de tels extrêmes ?

    C’était prévu dès les premières phases de développement. Même quand j’ai demandé des financements, le projet était présenté tel quel. C’était très détaillé dans le story-board, notamment. Néanmoins, je ne considère pas Projet Wolf Hunting comme un film gore, il n’y a pas d’intestins qui se déversent partout ; à côté d’un film comme Terrifier 2, c’est même timide ! (rires) Je ne vois pas tant de films d’horreur que ça. Je suis parti d’un point de vue réaliste pour montrer les morts à l’écran. Il y avait sur le plateau un médecin qui nous a conseillés, par exemple sur la quantité de sang qui gicle quand l’artère est touchée. Mais en voyant la réaction de certains spectateurs et certaines spectatrices en Corée, je me suis demandé a posteriori si je n’aurais pas dû réduire la violence de certaines scènes, en me concentrant sur la narration, ou encore faire une version coréenne et une version internationale. Je ne visais pas le choc à tout prix.

    Cet aspect est d’autant plus marquant que le film passe sans cesse d’une violence cartoon à de l’horreur pure. Comment arrive-t-on à garder la tête froide, à maintenir le bon équilibre, en étant submergé par autant de sang, de maquillages et d’effets spéciaux

    L’expérience a été satisfaisante d’un bout à l’autre, de l’écriture à la postproduction en passant évidemment par le tournage, qui a été particulièrement joyeux. La violence était là, mais il y avait du coup une curiosité de la part des stars du film, qui n’avaient pas connu ce genre d’expérience en vingt ou parfois trente ans de carrière. Des membres de l’équipe ont pu parfois avoir des vertiges, mais il y avait toujours sur le plateau du personnel médical, des infirmiers et des psychologues. En cas de problème, ils étaient là, mais il n’y a rien eu de vraiment sérieux. Tout le monde est resté jusqu’au bout du tournage, on a même fêté le réveillon tous ensemble, il y a quelques jours!


    – Do-il (Jang Dong-yoon), un énigmatique prisonnier au lourd passé

    Quel a été l’aspect le plus complexe du processus créatif ? Le sound design du film - notamment les bruitages -est particulièrement réussi…

    Le plus compliqué à gérer a surtout été le manque d’argent, en particulier pour ce qui concerne les costumes et le maquillage. C’étaient les postes les plus exigeants. D’une prise à l’autre, il fallait tout nettoyer, il y avait toujours de l’eau chaude prête à l’usage. Il fallait nettoyer les vêtements, les sécher le plus vite possible. Maïs il restait toujours du sang et au bout d’un moment, on a fabriqué notre propre faux sang avec du sirop et du colorant pour simplifier ces étapes. C’était fatigant, mais on s’en est sortis. (rires) En ce qui concerne le montage sonore, dans le cinéma coréen, on passe en général deux semaines sur cette étape, j’ai pris trois mois, en parallèle de la postproduction des effets et du montage global. Je suis donc très content que vous ayez remarqué cet aspect ! C’est aussi pour ça, je pense, qu’il faut plutôt voir le film en salle.

    👇

    Spoiler

    [SPOILERS] Il y a une figure qui revient dans beaucoup de films sud-coréens, c’est celle de l’homme poussé à bout. Projet Wolf Hunting est truffé de tels personnages, mais diriez-vous que le personnage d’Alpha, cette machine à tuer, en est l’aboutissement terminal ?

    Ce que vous décrivez concerne plutôt le personnage de Do Il, joué par Jang Dong-Yoon, qui veut assouvir sa propre vengeance et subit tous les effets de cette violence jusqu’à la fin. Dans le film, on voit beaucoup de prisonniers qui ont commis des crimes atroces, et qui perpétuent ce comportement extrême dans leurs actions et même leur façon de parler. Alpha sert d’intermédiaire entre ce présent et un passé qui n’est pas encore résolu, c’est comme si la tristesse de nos ancêtres s’exprimait par son biais quand il tue des gens contre sa volonté. J’ai coupé une scène vers la fin, à la mort d’Alpha, où on le voyait pleurer. C’était cohérent avec cet aspect, mais ça ne collait pas avec le reste du film. Cependant, et malgré ce qu’on pourrait penser au fil de la narration, je considère qu’Alpha est le personnage principal du film.

    La troisième partie du récit se développe sur fond d’exactions commises par l’armée japonaise en temps de guerre. Le film, à ce moment-là, se pose au croisement du cartoon, de l’horreur et d’une certaine colère. Y a-t-il un besoin de catharsis sur ce sujet, à l’image de certains films indiens ou hongkongais à propos des colons anglais ?

    Ce passif de colonisation avant la Seconde Guerre mondiale est un fait, et véhicule une grande tristesse. Il ne faut pas oublier ce passé, mais à mon avis, on n’a pas besoin non plus de l’énoncer en permanence. Le Japon d’alors et celui d’aujourd’hui ne sont pas les mêmes, il n’y a pas lieu d’être hostile. Quand ontraite de cet aspect dans le cinéma coréen commercial, il y a souvent une mise en avant de cet élément, que je n’ai pas souhaitée sur Projet Wolf Hunting. Pendant la préparation du film, j’ai appris l’existence d’expériences effectuées par l’armée japonaise, en Chine et aux Philippines, et j’ai imaginé ce qui pourrait se passer si l’un des cobayes avait survécu, en lien avec les actions d’une entreprise pharmaceutique. Pour revenir à votre question, je n’ai pas envisagé ça d’un point de vue politique. La scène où Alpha tue les militaires japonais est ma façon de renvoyer dos à dos toutes les violences, qu’elles soient verbales, contre les femmes, les minorités. [FIN DES SPOILERS]

    👆


    – Alpha (Choi Gwi-hwa), impitoyable machine à tuer qui ne fera aucune distinction entre flics et voyous…

    Vous avez déjà évoqué le sujet, mais il semble difficile de ne pas rapprocher Projet Wolf Hunting d’une nouvelle vague de films gore, produits un peu partout dans le monde, avec un ton agressif.

    Au départ, j’avais vraiment en tête un film purement commercial dans l’esprit des Ailes de l’enfer, où on aurait remplacé l’avion par un cargo. Dans la première version du scénario, la ressemblance était trop flagrante, j’ai dû ajouter cette histoire d’expérience. Et il a fallu adapter le ton, être plus sérieux, parler du passé et de dignité humaine. Comme je vous le disais, je ne considère pas le film comme gore. Aujourd’hui, on a accès à plus de contenu violent via les plateformes, que ce soit dans des films ou des séries. Dans ce contexte-là, comment faire revenir le public en salles ? Mon idée était de lui proposer une violence plus réaliste. Je pense que la réalité est plus violente que la fiction. Mais a priori, je suis allé trop loin pour le public coréen, il va me falloir revenir à des représentations plus artificielles.

    Comment l’industrie cinématographique sud-coréenne a-t-elle vécu la crise sanitaire ?

    Le cinéma coréen rencontre beaucoup de difficultés aujourd’hui. On dénombre plus d’une centaine de films tournés il y a trois ans et qui n’ont pas encore pu sortir en salles. J’ai fait Projet Wolf Hunting en 2021, pendant la crise du Covid, et seulement trois films ont pu être réalisés pendant cette période. L’exploitation n’a pas encore retrouvé la dynamique d’avant, il n’y a qu’une poignée de films comme Avatar 2 qui bénéficient d’une vraie impulsion. En revanche, les séries marchent très bien, donc les acteurs et techniciens se sont reconvertis en masse dans ce secteur. Mais je pense que tôt ou tard, l’industrie cinématographique va se reprendre.

    Au-delà des réactions les plus épidermiques, comment Projet Wolf Hunting a-t-il été accueilli par le public et la critique en Corée ?

    Du côté de la presse, à part une minorité qui n’a pas pu supporter la violence, l’accueil a plutôt été très bon. Pour ce qui est du public… (rires) Les amateurs de cinéma de genre ont vraiment apprécié, mais les spectateurs d’œuvres coréennes plus commerciales n’ont pas été aussi enthousiastes, tant s’en faut. Ça ne correspondait pas à leurs attentes. J’ai tenté d’aller à l’encontre des clichés du film d’action coréen, de ne pas livrer les scènes types de ce genre de divertissement, et ça n’a pas plu. Il y a eu une reconnaissance des qualités techniques et de ia direction d’acteurs, et autant d’interrogations sur ma santé mentale. (rires)

    N’est-ce pas le moment idéal pour réaliser votre rêve de tourner une comédie romantique ?

    (rires) Peut-être que je développerai un projet de comédie romantique en série, mais pour ce qui est du cinéma, je vais rester sur le champ de l’action. Je fais partie de la jeune génération de réalisateurs, j’apprends toujours. Je pense que sur le prochain film, je vais procéder comme je vous l’annonçais et concevoir deux versions, une pour le public coréen, une pour l’international.

    – Propos recueillis par François Cau.
    – Merci à Aude Dobuzinskis, Victor Lamoussière & Hahn Sejeong
    – Mad Movies #368