Le programme Artemis amputé, la Chine arrivera-t-elle la première sur la Lune ?
Le projet de budget publié début mai par l’administration de Donald Trump aux États-Unis réduit drastiquement les ambitions du programme lunaire de la Nasa. Ce recul offre la possibilité à la Chine de se rapprocher de la tête de la course au retour sur la Lune.
Pierre angulaire du programme d’exploration lunaire Artemis, la station orbitale Lunar gateway vise à servir de relais entre la Terre et la surface lunaire pour les équipages et certains équipements. Sous condition d’approbation du Congrès américain, le projet serait purement et simplement abandonné.
La nouvelle administration des États-Unis révise à la baisse son retour sur la Lune. Si le plan budgétaire présenté par la Maison Blanche vendredi 2 mai obtient l’approbation du Congrès, le programme Artemis – qui doit renvoyer des astronautes sur la Lune pour la première fois depuis 1972 – prendrait de plein fouet la coupe budgétaire. La fusée super-lourde Space Launche System (SLS) et la capsule d’alunissage Orion, conçues en partenariat avec l’agence spatiale européenne (ESA), devraient ainsi être mises au placard après la troisième mission, au profit d’engins d’entreprises privées… comme celles de SpaceX, l’entreprise du proche de Donald Trump Elon Musk. La station spatiale orbitale Gateway serait, elle, purement et simplement abandonnée.
Un véritable changement de paradigme, alors que le programme Artemis visait à l’origine à assurer une présence humaine permanente en orbite de la Lune. La date d’alunissage d’un équipage reste officiellement inchangée sur le site web de la Nasa : mi-2027. Mais plusieurs pays pourraient bien prendre la tête de cette course à l’exploration lunaire.
La Chine, premier concurrent
Parmi les plus sérieux compétiteurs, la Chine espère envoyer ses premiers astronautes fouler le sol lunaire en 2030. Mi-juin 2024, sa fusée super-lourde Long March 10 a réussi un test d’allumage statique de son premier étage. Deux mois plus tôt, le moteur de la future fusée réutilisable a réalisé 15 tests répétés ainsi que 30 allumages. Chargée de transporter la capsule spatiale lunaire de plus de 20 tonnes Mengzhou, la fusée doit effectuer son premier vol d’essai en 2026 dans une version réduite.
Originalité du programme lunaire chinois : il privilégie les robots aux humains. Le programme de la République populaire ambitionne de mettre sur pied, conjointement avec la Russie, une station scientifique équipé de plusieurs mini-rovers d’exploration en 2036. «La base lunaire chinoise est pensée sur un mode automatisé, avec une présence humaine ponctuelle. C’est la grande différence avec le programme Artemis, qui s’appuie dans sa version originale sur une présence permanente d’humains dans la station dite Gateway en orbite autour de la Lune», précise Isabelle Sourbès-Verger, directrice de recherche au CNRS spécialiste des politiques spatiales.
Cette approche a l’avantage de réduire les coûts. Car la Chine dépense bien moins que le colosse américain. Au total, elle a consacré un peu plus de 14 milliards de dollars à ses programmes spatiaux en 2023 d’après Euroconsult, cabinet européen spécialisé dans l’industrie spatiale. Les États-Unis auraient dépensé, eux, 73 milliards de dollars la même année selon les estimations du cabinet.
La Chine a frappé fort, début 2019, avec sa mission Chang’e 4. Le pays au milliard d’habitants a posé une sonde spatiale sur la face cachée de la Lune, qui a ensuite redécollé en embarquant avec elle plusieurs échantillons. Un véritable tour de force technologique, alors que les ingénieurs chinois n’étaient plus en situation de communiquer directement avec l’engin.
L’Inde : objectif Lune en 2040
De son côté, l’Inde ambitionne de faire marcher un astronaute sur la Lune d’ici à 2040. Dans sa feuille de route, l’agence spatiale indienne (Isro) prévoit de placer une station spatiale habitée en orbite autour du satellite naturel de la Terre la même année. Pour rejoindre la Lune, les ingénieurs indiens planchent également sur le développement du premier lanceur super-lourd du pays. Baptisée NGLV (Next generation launch vehicle), la fusée réutilisable doit effectuer son premier vol en 2032.
Grande victoire pour l’Isro : son module Chandrayaan-3 est devenu, à l’été 2023, la première sonde de l’histoire à se poser près du pôle Sud lunaire – quelques jours seulement après le crash de la sonde russe Luna-25 dans la même zone. Le pays rejoignait alors le club restreint des États ayant posé avec succès un engin sur le satellite naturel de la Terre, après les États-Unis, l’Union soviétique et la Chine.
La Russie mise sur une station nucléaire
Cinq décennies après la mise en pause de son programme d’exploration spatiale, la Russie a relancé ses ambitions avec le lancement, à l’été 2023, de sa sonde lunaire Luna-25. Ce vol de reprise s’est soldé par le crash de l’engin sur le sol lunaire. «Une fois qu’ils auront corrigé les erreurs lors de la dernière phase d’alunissage de Luna-25, et si Vladimir Poutine veut bien mettre la main à la poche, la Russie est parfaitement capable de réaliser des missions lunaires automatiques», note Isabelle Sourbès-Verger.
La marche financière reste toutefois haute pour la Russie : embourbé dans la guerre en Ukraine, le budget de son agence spatiale Roscomos est au minimum. Celui-ci a été fixé à 210 milliards de roubles en 2022 (2,5 milliards d’euros). Soit environ autant que le budget alloué la même année par le Congrès américain pour le développement du seul lanceur lunaire SLS.
En parallèle, le vaste pays joue une autre carte : la production nucléaire lunaire. Roscomos a signé, début mai, un mémorandum de coopération avec la Chine dans le cadre de la création d’une centrale électrique russe. Le projet vise à installer sur la Lune un réacteur nucléaire compact, capable d’alimenter en électricité la future station spatiale robotisé chinoise.
L’Europe a les moyens
Côté européen, le potentiel retrait du partenaire historique américain sonne comme un avertissement. L’Agence spatiale européenne (ESA) n’a pas, elle, développé son propre programme lunaire. Les géants du Vieux continent Thales Alenia Space et Airbus sont engagés dans le programme américain avec la fabrication de plusieurs modules de la capsule Orion – notamment ses systèmes de propulsion et d’alimentation électrique – ainsi que de l’habitat principal de Lunar Gateway. Las, les deux engins sont dans le viseur de l’administration américaine.
«Si on ne peut plus avoir confiance dans le partenariat avec les Américains, ce sera désagréable pendant un certain temps. Mais l’Europe a les moyens de fonctionner en autonomie dès lors qu’elle aura défini sa propre stratégie», pointe Isabelle Sourbès-Verger. L’Europe dispose à la fois de fortes compétences scientifiques et technologiques, mais également d’une force de frappe financière. «Si vous additionnez tous les pays européens, l’ESA et l’Union européenne, l’Europe a un budget équivalent à celui de la Chine», précise la chercheuse.
Prudente, l’ESA a indiqué début mai réaliser une évaluation avec les Etats membres concernant «les actions possibles et les scénarios alternatifs pour les programmes de l’ESA concernés ainsi que l’industrie européenne associée». Verdict prévu lors du conseil de l’agence spatiale, en juin.
Source: https://www.usinenouvelle.com/article/le-programme-artemis-ampute-la-chine-arrivera-t-elle-la-premiere-sur-la-lune.N2231855