[Dossier] Julian Assange et WikiLeaks : L'histoire du hacker qui a mis le monde en émoi
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Si vous êtes du genre à penser que dire la vérité est plus important que vivre peinard, alors l’histoire de Julian Assange va vous parler. 14 ans de cavale, 7 ans enfermé dans une ambassade, 5 ans de taule… Tout ça pour avoir créé WikiLeaks et balancé les petits secrets bien crades des gouvernements. Bref, installez-vous confortablement, j’vous raconte comment Mendax, petit hacker australien, est devenu l’ennemi public numéro un de l’Amérique.
– Julian Assange dans les années 90, à l’époque où il était connu sous le pseudo “Mendax”Julian Paul Hawkins naît le 3 juillet 1971 à Townsville, dans le Queensland australien. Pourquoi Hawkins et pas Assange ? Parce que sa mère, Christine Ann Hawkins, artiste visuelle un peu bohème, n’était pas mariée avec son père biologique, John Shipton. Elle se remarie avec Brett Assange quand Julian a un an, et le gamin prend alors le nom de son beau-père. Mais l’histoire familiale, c’est compliqué chez les Assange, car peu après, sa mère fuit son nouveau mari violent avec Julian et son demi-frère, et c’est le début d’une vie de nomade qui va forger le caractère du futur fondateur de WikiLeaks.
Entre 1979 et 1987, Julian et sa mère déménagent plus de 30 fois. Imaginez le bordel… pas le temps de se faire des vrais potes, pas de racines, toujours en mouvement. D’école en école, de ville en ville, à travers toute l’Australie. Cette instabilité permanente va forger son caractère : indépendant, méfiant envers l’autorité, et surtout, capable de s’adapter à n’importe quelle situation.
– L’Australie des années 80, terrain de jeu nomade du jeune JulianBref, à 16 ans en 1987, Julian découvre l’informatique et tombe dedans comme Obélix dans la potion magique. Il s’achète un Commodore 64 avec l’argent de ses petits boulots et commence à programmer. Mais surtout, il découvre les modems et le monde merveilleux du hacking. C’est là qu’il se choisit un pseudo inspiré des “Métamorphoses” d’Ovide : Mendax. En latin, ça veut dire “noblement menteur” ou “celui qui transforme”. Prophétique, non ?
Avec deux autres hackers australiens, “Trax” et “Prime Suspect”, il forme un groupe appelé “The International Subversives”. Leur devise ? “Ne pas endommager les systèmes informatiques que vous pénétrez, ne pas changer les informations de ces systèmes (sauf pour modifier les logs et cacher vos traces), et partager les informations”. Des règles éthiques qu’on retrouvera plus tard dans toute la philosophie de WikiLeaks. Les mecs étaient des “white hat hackers” avant l’heure.
– Le Commodore 64, première arme de guerre numérique du jeune MendaxEt d’après les rumeurs, le groupe ne chôme pas. Ils auraient pénétré dans les réseaux de Nortel (géant canadien des télécoms), Citibank, l’Université de Stanford, et même dans le réseau MILNET de l’armée américaine. Mais leur plus gros coup (jamais confirmé par Assange…) ce serait le fameux virus WANK (Worms Against Nuclear Killers) qui paralyse les systèmes de la NASA en octobre 1989. Le virus affichait des messages du genre : “Votre système a été officiellement WANK’é” accompagné de messages anti-nucléaires.
Le Sydney Morning Herald dira plus tard qu’il était devenu l’un des “hackers les plus notoires d’Australie”, et The Guardian écrira qu’en 1991, il était “probablement le hacker le plus accompli d’Australie”. Pas mal pour un gamin qui a appris tout seul dans sa chambre.
– La NASA, victime du virus WANK en 1989 - Assange était-il impliqué ?Seulement voilà, en septembre 1991, un membre des International Subversives balance tout le monde pour sauver sa peau (toujours la même histoire) et l’opération “Weather” de la police fédérale australienne remonte jusqu’à lui. Les flics découvrent alors qu’il a hacké le terminal principal de Nortel à Melbourne. Les fédéraux mettent alors Assange sur écoute et finissent par débarquer chez lui fin octobre 1991.
31 chefs d’accusation liés au piratage informatique, ça sent le roussi pour notre ami Julian. Mais en 1996, quand il plaide finalement coupable pour 24 de ces accusations, les juges australiens ne savent pas trop quoi faire avec ces crimes d’un nouveau genre… Alors le verdict est plutôt clément : Une amende de 2 100 dollars australiens et la promesse de ne plus jamais hacker. Le juge déclare même qu’il n’y avait “aucune preuve de profit personnel”. Julian s’en sort bien, très bien même.
Les années 90, Julian les passe à papillonner entre les universités. Central Queensland University en 1994, puis l’Université de Melbourne de 2003 à 2006, où il étudie les maths, la philosophie et la physique. Mais il n’obtient jamais de diplôme car il est trop occupé par d’autres projets. En 1997, il co-écrit avec Suelette Dreyfus un livre sur le hacking underground australien : “Underground: Tales of Hacking, Madness and Obsession on the Electronic Frontier”. Et le premier chapitre ? L’histoire du virus WANK. Coïncidence ? J’vous laisse juger.
– Hacker des années 90 ^^Mais c’est en 1996 qu’il développe un truc vraiment innovant : Rubberhose, un système de chiffrement conçu pour résister à la torture. L’idée est géniale : permettre à quelqu’un sous contrainte physique de révéler un mot de passe factice qui donne accès à de fausses données, pendant que les vraies infos restent planquées derrière d’autres mots de passe. Du chiffrement avec déni plausible avant l’heure. Le mec pensait déjà à protéger les lanceurs d’alerte…
En 1999, il lance alors son premier vrai projet journalistique : Leaks.org. Le site publie des documents compromettants sur des entreprises et des gouvernements. C’est encore artisanal, très loin de l’ampleur de ce qui va suivre et Julian travaille aussi comme consultant en sécurité informatique et développe des logiciels. Il gagne sa vie, mais son vrai rêve, c’est de créer une plateforme pour les lanceurs d’alerte.
Et puis en 2006, boom ! Julian fonde WikiLeaks avec une équipe de dissidents chinois, de journalistes, de mathématiciens et de hackers venus des quatre coins du monde. L’idée est révolutionnaire : créer une plateforme ultra-sécurisée où les lanceurs d’alerte peuvent balancer anonymement des documents sensibles.
– Le logo emblématique de WikiLeaksEt la sécurité de WikiLeaks, c’est du béton armé. Toutes les connexions sont chiffrées avec du SSL “niveau bancaire” mais surtout, ils intègrent Tor (The Onion Router) dans leur architecture. Pour ceux qui ne connaissent pas, Tor c’est un réseau chiffré qui fait rebondir votre connexion à travers plein de serveurs dans le monde, rendant quasi impossible de tracer qui envoie quoi. WikiLeaks lance même un site en .onion pour permettre les soumissions 100% anonymes.
Et le premier document publié en décembre 2006 est un ordre d’assassinat signé par un leader rebelle somalien. Pas le truc le plus sexy, mais ça pose les bases. Puis en 2007, ils balancent les procédures opérationnelles de Guantanamo Bay et en 2008, des documents sur la corruption massive au Kenya. Le site prend de l’ampleur, et les gouvernements commencent à flipper…
Mais c’est en 2010 que WikiLeaks explose littéralement la baraque. Tout commence avec Chelsea Manning (qui s’appelait encore Bradley à l’époque), une analyste de l’armée américaine en poste en Irak. Manning a accès aux bases de données classifiées SIPRNet et JWICS, et ce qu’elle y découvre la dégoûte : crimes de guerre, bavures, mensonges systématiques. Elle décide de tout envoyer à WikiLeaks.
Et le 5 avril 2010, WikiLeaks publie “Collateral Murder”, une vidéo de juillet 2007 où un hélicoptère Apache américain massacre 12 civils irakiens, dont deux journalistes de Reuters. Les pilotes rigolent pendant qu’ils dégomment des innocents, prenant leurs caméras pour des armes. “Light ’em all up!” qu’ils disent. La vidéo fait le tour du monde, c’est l’électrochoc.
– Image de la vidéo “Collateral Murder” qui a choqué le monde en 2010Juillet 2010, WikiLeaks balance les “Afghan War Logs” : 91 731 rapports internes de l’armée américaine sur six ans de guerre. On y découvre des milliers de morts civils non reportés, des bavures, des exécutions sommaires. Les médias du monde entier s’emparent à nouveau de l’affaire.
Octobre 2010, rebelote avec les “Iraq War Logs” : 391 832 rapports de terrain. C’est la plus grosse fuite de l’histoire militaire américaine. Les documents révèlent 15 000 morts civils supplémentaires non comptabilisés, l’usage systématique de la torture, les ordres de ne pas enquêter sur les abus…etc., etc.
Et puis arrive le pompon, le feu d’artifice final : novembre 2010, WikiLeaks commence à publier “Cablegate”, 251 287 câbles diplomatiques américains. C’est l’apocalypse pour la diplomatie US. On y découvre que les États-Unis espionnent l’ONU, collectent des infos biométriques sur les diplomates étrangers, que l’Arabie Saoudite pousse pour bombarder l’Iran, que la Chine hacke Google… Bref, la cuisine interne de la géopolitique mondiale.
– Les salles de rédaction du monde entier analysent les câbles diplomatiquesEt les réactions sont immédiates et violentes. PayPal, Visa, MasterCard, Bank of America coupent les vivres à WikiLeaks. Amazon vire le site de ses serveurs. Les Anonymous ripostent avec l’opération “Payback”, attaquant les sites de ces entreprises. C’est la cyber-guerre totale.
Et Julian dans tout ça ? Il devient tout simplement l’homme le plus recherché de la planète. Les États-Unis veulent sa peau pour espionnage, mais il a aussi un autre problème : la Suède émet un mandat d’arrêt européen contre lui pour des accusations d’agression sexuelle datant d’août 2010. Julian crie au complot, dit que c’est un piège pour l’extrader vers les US.
Et le 19 juin 2012, après avoir épuisé tous ses recours légaux au Royaume-Uni, Julian prend une décision complètement dingue : il se réfugie dans l’ambassade d’Équateur à Londres et demande l’asile politique. Rafael Correa, le président équatorien de l’époque, fan de sa lutte contre l’impérialisme américain, lui accorde l’asile en août.
– L’ambassade d’Équateur à Londres, refuge de Julian pendant 7 ansEt là commence la partie la plus surréaliste de toute cette histoire. Julian va passer les sept prochaines années enfermé dans 30 mètres carrés au cœur de Londres. Sept ans ! 2 487 jours exactement. Sans pouvoir mettre un pied dehors, avec la police britannique qui surveille l’ambassade 24h/24, 7j/7. Le coût de cette surveillance ? Plus de 13 millions de livres sterling pour les contribuables britanniques.
Et la vie à l’ambassade, c’est l’enfer version luxe. Julian fait du skateboard dans les couloirs pour garder la forme, écoute de la musique techno à fond, organise des conférences de presse depuis le balcon. En 2016, il adopte même un chat qu’il appelle “Embassy Cat” et qui devient une star sur Twitter. Mais psychologiquement, c’est dur. Pas de soleil direct, pas d’air frais, la paranoïa qui monte…
Et surtout, les relations avec l’Équateur se dégradent progressivement. Le nouveau président, Lenín Moreno (élu en 2017), en a marre de son locataire encombrant. Et des histoires commencent à circuler : Julian barbouillerait les murs avec ses excréments, insulterait le personnel, piraterait les systèmes informatiques de l’ambassade. Vrai ou intox ? Difficile à dire, mais l’ambiance est clairement pourrie.
Pendant ce temps, WikiLeaks continue ses publications. En 2016, ils balancent les emails du Comité National Démocrate américain, révélant les magouilles contre Bernie Sanders. Certains accusent Assange d’avoir influencé l’élection de Trump. En 2017, c’est “Vault 7”, des milliers de documents sur les outils de cyber-espionnage de la CIA.
Puis le 11 avril 2019, c’est fini. L’Équateur révoque l’asile de Julian et invite la police britannique à venir le chercher. Les images de son arrestation font alors le tour du monde : un homme barbu, cheveux blancs ébouriffés, qui hurle “C’est illégal ! UK must resist !” pendant qu’on le traîne hors de l’ambassade. Après sept ans de réclusion, Julian ressemble plus à un prophète fou qu’au hacker élégant d’autrefois.
– L’arrestation spectaculaire de Julian Assange le 11 avril 2019Direction la prison de Belmarsh, surnommée la “Guantanamo britannique”, une prison de haute sécurité où sont enfermés les terroristes et les criminels les plus dangereux. Julian y passe 23 heures sur 24 en cellule. Son heure de “récréation” se déroule dans une cour intérieure, sous surveillance constante. Sans soleil direct depuis 2012, autant dire que sa santé mentale et physique se dégrade rapidement.
Les États-Unis réclament alors son extradition pour 18 chefs d’accusation sous l’Espionage Act. Peine encourue : 175 ans de prison. Ses avocats se battent comme des lions, sa compagne Stella Moris (qu’il épouse en prison en mars 2022) mobilise l’opinion publique, des dizaines de prix Nobel et d’organisations de défense des droits humains demandent sa libération. Mais la justice britannique traîne, reporte, hésite.
En mai 2019, Nils Melzer, le rapporteur spécial de l’ONU sur la torture, visite Assange à Belmarsh et déclare qu’il montre “tous les symptômes typiques d’une exposition prolongée à la torture psychologique”. Les conditions de détention sont dénoncées par des médecins du monde entier.
– HM Prison Belmarsh, où Assange a passé 5 ans en isolementEt puis, coup de théâtre ! Le 24 juin 2024, après des négociations secrètes, un accord est trouvé avec les États-Unis. Julian accepte de plaider coupable pour un seul chef d’accusation : conspiration pour obtenir et divulguer des informations de défense nationale. La sentence ? 62 mois de prison, soit pile poil le temps qu’il a déjà passé à Belmarsh. Bingo !
La cérémonie judiciaire se déroule le 26 juin 2024 à Saipan, dans les îles Mariannes du Nord. Pourquoi ce bled paumé ? Parce que c’est techniquement territoire américain mais proche de l’Australie, et Julian refuse catégoriquement de foutre les pieds sur le continent US.
Quelques heures plus tard, Julian atterrit à Canberra, en Australie. Libre. Après 1 901 jours d’emprisonnement, 2 487 jours dans l’ambassade. 14 ans de sa vie sacrifiés pour WikiLeaks. Les images montrent un homme amaigri, cheveux blancs, mais souriant. Il embrasse sa femme Stella et ses deux fils, nés pendant qu’il était coincé à l’ambassade.
Alors, qu’est-ce que je retiens de cette histoire complètement folle ? Et bien que Julian Assange a réécrit ce qu’était le journalisme d’investigation, et grâce à WikiLeaks et ses technologies de pointe (Tor, chiffrement, drop box anonyme), n’importe quel lanceur d’alerte peut maintenant balancer des secrets d’État depuis son canapé. C’est une sacrée révolution !
Et les révélations de WikiLeaks ont clairement changé le monde. Elles ont contribué au Printemps arabe, révélé l’ampleur des crimes de guerre en Irak et Afghanistan, exposé la surveillance de masse, montré l’hypocrisie de la diplomatie mondiale. Mais elles ont aussi peut-être influencé l’élection de Trump, mis en danger des sources, créé des tensions diplomatiques majeures.
Ses détracteurs disent qu’il a mis en danger des vies humaines en publiant des documents sans précaution et ses supporters, qu’il a révélé des vérités que le public avait le droit de connaître. Julian n’est ni un héros parfait ni un méchant de James Bond… c’est un mec complexe, brillant, probablement insupportable, et qui a pris des risques énormes pour ses convictions.
– Certes, WikiLeaks continue d’exister, mais sans son fondateur charismatique, l’organisation a perdu de sa superbe.Quoiqu’il en soit, l’héritage de WikiLeaks dépasse largement les scandales et son modèle a fait des petits : SecureDrop (utilisé par des dizaines de médias), GlobaLeaks, AfriLeaks… Les Panama Papers, les Paradise Papers, toutes ces méga-fuites utilisent des techniques développées ou popularisées par WikiLeaks. Julian a industrialisé le lancement d’alerte.
Aujourd’hui, il a 53 ans dont 14 ans de sa vie adulte en cavale, enfermé ou en prison et sa santé est fragile… Il souffre de dépression, d’anxiété, de problèmes neurologiques mais il restera dans l’histoire comme l’homme qui a payé le prix fort pour que chacun d’entre nous puisse connaitre la vérité.
– Source :
https://korben.info/julian-assange-wikileaks-histoire-complete.html